Cinquième Secousse - Retour au Japon

 Cinquième Secousse - Retour au Japon
01 octobre 2011

Retour au Japon

Henri Cole, qui est né au Japon, y retourne à la mort de son père et s’y fond dans la nature, au pied des collines du nord de Kyoto. Celui qui, adolescent, avait vécu dans une cabane aménagée dans un arbre pour échapper aux déchirements familiaux, s’y affronte aux bêtes et aux choses – et à lui-même. Le livre, le cinquième de l’auteur, est organisé en trois parties dont la plus prenante à mon goût, la centrale, écrite sous la forme de « sonnets qui respirent » (selon le beau mot de Claire Malroux qui introduit et traduit le recueil), est le fruit de ce tête-à-tête. Êtres et paysages sont à Henri Cole un motif, non tant de louer et de perpétuer le monde, réduit souvent à un minuscule éclat de réalité, à la façon des haïkus, que de se retrouver. Le regard porte rarement loin. Emblématique est, à cet égard, le poème où on voit l’auteur jeter à l’eau, au milieu des cygnes, les cendres de son père : de loin, on pourrait croire qu’il les nourrit. Il faut s’approcher des choses pour les comprendre et dégager le sens qui les fera nôtres. Le règne animal, souvent dans ses manifestations les plus humbles, grenouille, insectes, corbeaux, araignée, est omniprésent ; s’il semble posséder une part d’humanité, ce n’est pas le prétexte à des fables mais l’occasion d’un dialogue, comme d’égal à égal, dans un climat tantôt mélancolique, tantôt ironique :

 

PILLOW CASE WITH PRAYING MANTIS

I found a praying mantis on my pillow.
“What are you praying for?” I asked. “Can you pray
for my father’s soul, grasping after Mother?”
Swaying back and forth, mimicking the color
of my sheets, raising her head like a dragon’s,
she seemed to view me with deep feeling, as if I were
St Sebastian bound to a Corinthian column
instead of just Henri lying around reading;

 

OREILLER AVEC MANTE RELIGIEUSE

J’ai trouvé sur mon oreiller une mante religieuse.
« Pour quoi pries-tu ? ai-je demandé. Peux-tu prier
pour l’âme de mon père, cherchant à atteindre Mère ? »
Se balançant d’avant en arrière, imitant
la couleur de mes draps, levant sa tête de dragon,
elle semblait m’observer avec une grande émotion, comme si j’étais
saint Sébastien lié à une colonne corinthienne
et non simplement Henri traînant au lit avec un livre.

 

Si la manière de Cole est assez classique (il se qualifie lui-même de « réaliste guéri du style »), le monde saisi dans son évidence, au moyen de rapides croquis, de notations presque objectives – nommer suffit à recréer, et à donner la preuve de sa propre existence : « À ma fenêtre, un jardin grand comme une urne, / une belle de jour grimpe vers moi. C’est le matin, / cinq heures, le neuvième jour du septième mois... » – son écriture a pourtant une tonalité très particulière. D’une part, du fait de l’importance accordée aux images qui, dans leur limpidité, sont le lieu d’une brève épiphanie – l’amour, l’innocence, la beauté – dans une sorte de foudroiement nostalgique : le père souffle dans l’oreille du nouveau-né « comme un verrier sur la flamme » ; la solitude de l’auteur est « aussi pure qu’un bol de lait »... D’autre part, par de brusques basculements de la réalité concrète dans l’univers mental, le désordre des sentiments submergeant par instants l’auteur, réveillant « le ver dans [son] esprit » et troublant la langue.

Le passé, en effet, n’est pas détaché de l’instant et remonte obstinément dans les vers. La figure du père y revient de façon obsessionnelle et, avec lui, le sentiment d’une faute lointaine, à peine exprimée, que les déchirements devant les désirs de la chair semblent redoubler et prolonger. Henri Cole est chrétien, et homosexuel (Claire Malroux explique dans sa préface ce que son précédent recueil, The Visible Man, doit au souci passionné de « démêler une identité trouble, troublée, brouillée... »). L’émouvant « Autoportrait en princesse rouge » traduit superbement ce trouble (plus évident encore dans l’original, l’anglais ignorant, dans les participes et les adjectifs, la distinction des genres), où l’ambiguïté sexuelle est le signe d’autre chose : « je vois bien que je me dirige vers la destruction, / au lieu de l’unité de forme et de sentiment ». Si, dans la contemplation, le moi brisé semble retrouver un instant l’unité, si la beauté semble parfois guérir l’âme « brouillée par la chair », ce répit n’est qu’une illusion.

                                                                                                      Gérard Cartier