Domaine public - Recension par Pierre Jeanneret

31 janvier 2018

Henry-Louis Mermod et les écrivains qu’il a publiés : une galerie de portraits sur un ton très personnel.

Le titre de cet ouvrage fort original se réfère bien sûr au célèbre tableau de Rembrandt. L’auteur explicite ce lien: «Il s’était toujours agi pour moi de la représentation d’une mystérieuse ronde de poètes». Au centre de cette ronde, on trouve une personnalité fascinante : celle d’Henry-Louis Mermod (1891-1962), le « Gaston Gallimard suisse » dont Amaury Nauroy écrit la biographie et dresse un portrait psychologique.

On ne le confondra pas, comme c’est souvent le cas, avec Albert Mermoud, le fondateur de la Guilde du livre, que Mermod a cependant soutenue. Le personnage appartient à la grande bourgeoisie lausannoise éprise d’art. En même temps, il est un capitaine d’industrie, un redoutable négociant en métaux, richissime, élégant et mondain, voire un peu snob. Mais c’est l’éditeur inspiré qui restera dans l’Histoire. Et le mécène généreux, particulièrement pour Charles-Ferdinand Ramuz.

À l’instar des personnages de la Ronde de nuit et de ceux de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, on découvre dans ce livre le « petit clan » des amis artistes vaudois: Ramuz, Auberjonois, Casimir Reymond, Gustave Roud, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet. Servi par une belle élégance de plume, à la limite parfois de la préciosité, qui a elle aussi quelque chose de proustien, Amaury Nauroy a écrit un livre qui repose sur un véritable travail de recherche littéraire. Mais l’ouvrage ne sent jamais le labeur ni le tâcheron. Il procède par touches, d’une manière que l’on pourrait qualifier d’impressionniste.

Peut-être cependant les pages consacrées à « Pipo » le fils d’Henry-Louis Mermod, un fils riche « pourri gâté », étaient-elles superfétatoires. On les oubliera comme on oubliera ce personnage de raté. L’auteur ne craint d’ailleurs pas les jugements féroces: ainsi le portrait assez «rosse» du théâtral Chessex, avec sa voix « pleine de componction dont il n’aurait su se départir », et dont Nauroy montre les ombres et les lumières. Ainsi, l’évocation de la dernière rencontre de Jacques Chessex avec Gustave Roud mourant est fort émouvante. On le voit, l’auteur se balade entre les ombres des grands défunts.

Une large place est accordée à Philippe Jaccottet, en sa demeure de Grignan, la localité proche de Valence où vécut Madame de Sévigné. Manifestement, l’auteur éprouve pour ce poète un respect quasi filial. Il en apprécie la modestie, le refus de la vanité et de « toute forme de médiocrité satisfaite ». Jaccottet, au milieu de ses amis: il y a quelque chose de touchant et d’un peu suranné dans le langage et les relations sociales de ce petit cercle.

À l’une de ses interlocutrices, Amaury Nauroy a «su avouer [son] ambition d’écrire de tout petits portraits où [il] cherche à replacer les poètes parmi nous». Le pari est réussi.

par Pierre Jeanneret