Hippocampe - n° 24 - De la poésie que c’est la peine

 Hippocampe - n° 24 - De la poésie que c’est la peine
01 2015

De la poésie que c’est la peine

« Je ne veux pas que les mots me séparent de la réalité »

Avec Le Merle, le loup suivi de Toucher, les éditions Le Bruit du temps complètent la « trilogie involontaire » du poète américain Henri Cole (né en 1956), après avoir donné Terre médiane en 2011, le tout traduit excellemment — comme toujours — par Claire Malroux. D’ailleurs, il existe un lien bien plus que de traductrice à auteur entre elle et Cole, puisque ce dernier a lui-même traduit et inclus un poème de Claire Malroux dans son propre recueil.

Les poèmes d’Henri Cole ne cessent d’explorer l’intersection entre l’extase et le domestique, en affrontant la vérité pour se confronter à lui-même et assembler le langage pour qu’il devienne poésie. Se définissant comme un poète autobiographique, ses poèmes ont pour matière première les faits et les données de sa vie. Mais ce qui fait la singularité de cette écriture, c’est que les poèmes d’Henri Cole permettent au lecteur d’accéder à certaines souffrances, certaines douleurs, sans offrir de thérapie.

Comme toujours,
la possibilité d’un foyer — au mieux un idéal —
reste illusoire, alors je lis Platon, pour qui l’amour
n’a pas subi de crevaison. Vautré sur le tapis,
tel un ver de compost, je comprends des choses
dont la connaissance empirique me manque.
La porte est fermée à clef, mais je suis libre.
Comme sur une carte obsolète, mes frontières bougent.

S’il faut chercher une parenté poétique à Cole, c’est du côté d’Elizabeth Bishop qu’on le trouvera, dans ses préoccupations esthétiques que traduit la diversité prosodique si féconde du recueil, dans l’extrême précision de l’équilibre dans lequel se maintient cette écriture, et dans cette sorte de nudité émotionnelle qui s’en dégage. Car dans cette œuvre, comme l’écrit Claire Malroux, « tout se noue et se dénoue pour se renouer, mais plus loin, ailleurs, comme l’eau sur les galets ou le sable, à travers et malgré l’âpreté de la vie humaine et du monde dans lequel la poésie se déploie ». Cole procède presque toujours par l’association d’une image précise, souvent en résonance avec la beauté féroce du monde naturel, et la description d’un état intérieur ou bien d’un souvenir exhumé.

Il y a là quelque chose de dérangeant, je sais, mais qui teste
les rapports entre les choses. Voit-elle, je me demande, si je grimpe
ou si je tombe à genoux sur le banc des accusés, jour après jour,
quand revient l’heure de lire et d’écrire et qu’une araignée velue — 
habile, pudique, insolente, laborieuse, patiente — observe
un homme que rien ne distingue d’un lys, d’un ver, d’une motte de terre ?
Chez Henri Cole, la poésie semble toujours avancer sur la ligne de crête entre résilience et entéléchie, ce qui est le propre de la condition humaine et de la création artistique.

                                                                                                Thierry Gillybœuf