Le Littéraire - Tenir, par Jean-Paul Gavard-Perret

15 novembre 2017

Jean-Luc Sarré n’a plus rien à prouver ; il peut donc vagabonder dans ses Apostumes et battre la campagne sans souci d’un ordre en son exercice moins de « félixité » que de douleur mais aussi de flemme et de manque d’intêrêt pour tout déplacement – ce qui est agréable pour le lecteur. Privilège de l’âge (un des rares), Sarré laisse faire le temps qui passe sans trop s’intéresser à son futur. D’autant qu’il n’a guère le choix et doit faire avec les vicissitudes de son état de santé précaire. Son apparente mollesse évite toute vindicte et vaticination superfétatoires. Manière de couturer une existence qui ne demande rien aux autres et peu à soi-même.

Marseille est devenu son port d’attache ou son bocal. Il y trouve son rythme carcéral, ne s’aventurant qu’avec difficulté de son quartier vers le centre ville, les plages et les centres de soin. Rien ne vaut son appartement. En nouveau De Maistre, il fait le tour de sa chambre en ayant renoncé à marcher comme à cultiver les poèmes.

Il reste néanmoins tant à faire dans l’espace le plus mince pour peu que l’œil et l’esprit demeurent sensibles aux zozios comme à la vie de tous les jours, son ciel, les bruits de balais dans une cour qui n’a rien des miracles. Tout peut devenir prétexte aux rêves et souvenirs revus désormais telles des curiosités exotiques. La musique et les livres font le restent. Montaigne, Blanchot, Lichtenberg, Scutenaire, Cioran — bref, les spécialiste du fragmentaire et paradoxaux lurons devant l’éternel. Restent l’humour, la revendication d’une pusillanimité particulière qui rend ce qui fut raté sans le moindre le regret.

Reste à suivre, clopin-clopant, son cours lorsque la maladie laisse en paix. Ce qui n’est pas le cas de Sarré : « J’ai le sentiment depuis deux ans d’appartenir à des hôpitaux et à des centres de rééducation qui m’accordent, de temps à autre, de plus ou moins longues permissions de sortie. ». C’est donc dans les temps d’intermittence que l’écriture fait retour. Tant bien que mal.

Certes, la maladie change ce qui est vu, d’où un mélange de proximité et de distance : « Je suis un autre ainsi paré. Je ne redreviendrai moi-même que lorsque les électrodes me seront ôtées. » dit l’auteur. C’est tout ce qu’on lui souhaite. D’autant qu’il reste à toujours capable d’alacrité stylistique pour faire la satire du monde tel qu’il ou tel qu’il devient au sein des cohortes de toubibs. Ils font vaquer leur client en un « to be or not to be ». Tout compte fait, c’est bien la question. La seule.

Jean-Paul Gavard-Perret