Poezibao - Anthologie permanente : Henri Cole

 Poezibao - Anthologie permanente : Henri Cole
01 mai 2015

Anthologie permanente : Henri Cole

Poules

C’est bon pour l’ego, quand elles accourent à mon appel,
piaillant et gloussant parce que c’est l’heure où on les nourrit,
et encore une fois je ne peux m’empêcher de saisir la petite Lazare,
une poulette blanche et orange que j’adore. « Si, si, tout ira bien »,
dis-je à sa face furibonde de bâtarde. En septembre,
elle commencera à pondre les œufs vert-bleu que j’aime pochés.
Dieu condamne le serpent à n’avaler que de la poussière
et la poule à quelque 4 000 ovulations. Pauvre Lazare,
au printemps un intrus a assassiné ses sœurs et l’a laissée à demi
étranglée dans le poulailler. Les blessés ont une façon à eux
d’éclairer un noir espace rectangulaire. La souffrance
devient le thème universel. Trop tendre, on vous broiera,
trop dur, on vous brisera. Même une poule sait cela,
posant sur un tas de fumier, son corps un poignard d’or.

Hens

It’s good for the ego, when I call and they come
running, squawking, and clucking, because it’s feed time,
and once again I can’t resist picking up little Lazarus,
an orange-and-white pullet I adore. “Yes, yes, everything will be
okay,” I say to her glaring mongrel face. Come September,
she’ll begin to lay the blue-green eggs I love poached.
God dooms the snake to taste nothing but the dust
and the hen to 4,000 or so ovulations. Poor Lazarus,
last spring an intruder murdered her sisters and left her
garroted in the coop. There’s a way the wounded
light up a dark rectangular space. Suffering becomes
the universal theme. Too soft, and you’ll be squeezed;
too hard, and you’ll be broken. Even a hen knows this,
posing on a manure pile, her body a stab of gold.

/

Au loin 

Si je ferme les yeux, je te revois devant moi 
comme la lumière attire à elle la lumière. Debout 
dans le lac, je crée avec mes bras un tourbillon, 
laissant la force du repentir m’entraîner en son centre 
au point de ne plus pouvoir me raccrocher à mes perceptions 
ou à la conscience du moi, tels ces nuages de poussière 
et d’hydrogène tout excités de former de nouveaux astres 
pour éclairer l’arrière-cour. Si poignant est le cri du vide 
pour être comblé. 

                        Mais écrivant ces lignes, ma main est chaude. 
Le personnage que j’appelle Moi n’est plus lourd, lascif, 
mélancolique. C’est comme si les émotions n’avaient plus de chair. 
Éros ne déchire pas les ténèbres. C’est comme si j’étais 
redevenu un enfant observant la venue au monde de deux agneaux. 
Le monde vient juste de naître à la vie.  

Away 

If I close my eyes, I see you again in front of me,
like light attracting light to itself. I’m standing
in the lake, forming a whirlpool with my arms,
letting the force of atonement pull me into its center
until I cannot any longer hang onto my observations
or any sense of myself, like dust and hydrogen clouds
getting all excited while creating new stars to light
the backyard. How poignantly emptiness cries out
to be filled. 

                     But writing this now, my hand is warm. 
The character I call Myself isn’t lustful, heavy,
melancholic. It’s as if emotions are no longer bodied.
Eros isn’t ripping through darkness. It’s as if I’m
a boy again, observing the births of two baby lambs.
The world has just come into existence. 

(Extraits de Henri Cole, Le Merle, le loup suivi de Toucher, pp. 180 et 181 et pp. 236 et 237)