Le Journal des Poètes - Recension par Françoise Le Bouar

01 janvier 2019

La joie peut-être : c’est la réponse que fit Beckett à Cioran lui demandant un jour pourquoi il écrivait. Cette joie continue de visiter le poète octogénaire, l’invitant à placer un mot, comme on dit, activité qu’il voudrait comparable à celle de l’alisier – celui du beau poème qui clôt le recueil -, offrant ses fruits acides en grandes gerbes rouges,/ muris pour les oiseaux du ciel mouvant, sans autre cause que la sagesse de la sève qui monte en lui. Une poésie, donc, qui ne cherche pas à prouver, ne rend compte d’aucun au-delà, et qui se refuse à choisir entre l’énigme et l’évidence, une poésie du malgré tout, ne dénonçant aucune illusion car c’en serait une : Il n’y a rien à trouver qu’une parole/ qui se découvre parole/ et retombe en pluie/ sur sa propre source,/ pour rien.

Laissant la mémoire dépenaillée parler/ pour rien, pour maintenir l’humain babil,/le bruissement de la tribu, le poète nous fait part de brèves rencontres inespérées, partageant avec nous la grâce des choses vives, impondérables, vols d’oiseaux ou épiphanies végétales. La rivière amie qui coule nue,/ qui scintille et n’en finit pas ne passe jamais très loin de ses vers : il est aussi l’auteur d’un Eloge de la truite (paru chez Apogée) qui n’est rien de moins qu’un traité de sagesse.

A la partie intitulée Bouts de souffle – brefs constats, injonctions faites à soi-même par le biais d’impératifs ou d’infinitifs - répondent les longs poèmes, comme cette évocation historique des migrations vers l’Ouest, des peuples d’avant, amples, nourris, faisant retour à la longue parole, non pas épique, car toujours charriant l’obscur, mais courant simplement à la surface des choses pour en raviver les couleurs, mimer la vie qui fut/ quand le verbe tournait parmi les astres,/ dit-on, avant le temps et les destins.

Grâce soit rendue au poète pour avoir réussi à tenir ferme/ ce petit canton de réel/ avec le bienveillant mystère/ qui l’entoure,/ ce presque bonheur.

Françoise Le Bouar
Recension parue dans : Le Journal des poètes 1/2019