Quand on est poète, que dire d’un voyage qu’on a fait au Japon ? « Je n’ai rien à raconter », nous dit Jean-Claude Caër, retour du Pays du soleil levant. « Pas d’histoires, pas d’anecdotes/Seulement des sensations diffuses, des malaises,/Une solitude appuyée ».
Son nouveau livre, en effet, est un récit fragmenté (on se gardera bien de parler de carnet de voyage) à la manière des grands maîtres de la poésie japonaise. Jean-Claude Caër se met dans leurs pas, visite à leur manière les campagnes comme les villes et n’hésite pas à se rendre sur la tombe des plus illustres d’entre eux (Saigyô, Sôseki…). Et, au bout du compte, appréhende le monde comme ils le faisaient. Avec distance. Dans la contemplation des êtres et des choses. En allant à « l’étang du bas », au « jardin des mousses », au « mont Koya », « dans une barque », « à la petite cabane »… Mais, toujours, sans trop se faire d’illusion sur un monde qui est aussi, nous dit Jean-Claude Caër, « un enfer ». Et nous reviennent en mémoire ces vers de Kobayashi Issa : « Nous marchons en ce monde/sur le toit de l’enfer/en regardant les fleurs ».
« Tout nous échappe »
Dans la lignée de cette « impermanence » soulignée par le bouddhisme, Jean-Claude Caër nous dit encore que « tout nous échappe/Et file entre nos mains ». Et quand « la montagne fume après la pluie de la nuit », on a le sentiment d’entrevoir une estampe japonaise. L’esprit du haïku est là, aussi, quand il écrit : « 27°/Au bord de la rivière Kamo/On joue de l’éventail » ou encore ceci : « Une croix/sur un bâtiment gris/perdue dans Tokyo »
Mais au-delà de cette profonde imprégnation de la culture japonaise par l’auteur, il y a, ponctuellement, dans ce livre, un subtil va et vient entre deux mondes. Celui de l’Extrême-Orient où Jean-Claude Caër pérégrine et celui de cet Extrême-Occident où il est né (sur la côte sauvage du Nord-Finistère). Devant cette mer d’Okhotsk, au nord du Japon entre Sakhaline et Kamtchatka, à quoi pense-t-il ? A « la plage de Keremma/Couverte d’algues brunes en septembre ». Et quand il se rend aux « jardins de sable » du Daitoku-ji à Kyôto, « dans ce désert miniature à taille humaine », il pense à nouveau à cette plage de Keremma « quand la mer se retire à l’infini du sable ». A Keremma, comme devant la mer d’Okhotsk, une même sensation d’infini, de puissance brute de la nature et des éléments.
« Quatre moines récitent les sûtras »
Ailleurs, voici l’auteur dans un temple où « dès l’aube quatre moines récitent les sûtras » et « où les tambours résonnent dans le monastère » ? A quoi pense-t-il ? « A ces années de collège, où nous allions à la messe avant le petit-déjeuner ». Ici, dans ce monastère, la langue lui est « inconnue » comme l’était « le latin d’Eglise ».
Ce retour par la pensée à la « terre natale » le rattache à sa mère dont il évoque la figure à plusieurs reprises et qu’il croit découvrir un jour sous les traits d’une paysanne japonaise au travail. « Je t’ai peut-être vue, penchée vers la terre,/Travailler ce matin dans les champs/Près d’Abashiri ou de Obihiro/Sous ton grand chelgenn/Dans la campagne paisible sous le soleil de mai » (ndlr : Chelgenn désigne une coiffe du Haut-Léon). Universalité du labeur paysan que l’on soit d’Abashiri ou de Plounévez-Lochrist, commune de naissance de Jean-Claude Caër.
« Mère, j’ai traversé des cercles de douleur/L’écriture et la vue de la mer me calment ». Devant la plage de Keremma comme devant la Mer d’Okhotsk
par Pierre Tanguy