Bretagne actuelle : Recension de Pierre Tanguy

24 mai 2023

« L’air se raréfie », nous dit Jean-Claude Caër dans un livre conçu durant le confinement. Quittant Paris, il a trouvé refuge dans la maison familiale du Nord-Finistère, à Plounévez-Lochrist. Sur place, il va écrire, marcher, méditer, pour nous livrer aujourd’hui une petite trentaine de textes poétiques, dans un va-et-vient permanent entre l’Extrême-Occident où il séjourne et cet Extrême-Orient qui ne finit pas de le fasciner.

Quand il voyageait au Japon ou en Sibérie En longeant la mer d’Okhotsk (Le Bruit du temps, 2019) Jean-Claude Caër nous parlait volontiers de sa Bretagne natale. Chez une paysanne japonaise penchée sur son lopin de terre, il retrouvait les traits de sa propre mère. Dans un temple bouddhiste, il entendait le son d’une cloche qui lui rappelait un autre son de cloche : celui, matinal, de la chapelle de son lycée. En foulant un rivage, lui revenait en mémoire « l’infini du sable »  sur cette plage de Keremma où il courait enfant. « Touchant la pointe de l’orient / L’occident me hante », confie-t-il d’ailleurs dans son nouveau livre.

L’inverse est, aussi, tellement vrai. Touchant la pointe de l’occident, l’orient le hante. Installé à la pointe bretonne le temps d’une pandémie, il nous parle volontiers d’Extrême-Orient, citant notamment le Japonais Takuboku Ishikawa. Longeant le rivage, il admire ce rocher familier de Mean Melen qu’il assimile à un « Bouddha géant ». A un autre moment, il pense  à ces  oies bernaches qui « sont parties vers la péninsule de Taïmyr en Sibérie » après avoir hiberné dans la baie où il marche aujourd’hui. Et quand il écrit  « Nous qui foulons l’herbe brillante d’un pas léger et heureux », comment ne pas penser à ces vers de Kobayashi Issa : « En ce monde/nous marchons sur le toit de l’enfer/et regardons les fleurs ». Car de cet enfer, dont il parlait déjà dans son précédent livre, il en est effectivement question à nouveau quand l’auteur se rend dans la localité voisine de La Martyre où, sur l’ossuaire de l’enclos paroissial, un bandeau sculpté évoque An Infernien, l’Enfer froid des Celtes.

Cette navette  entre l’Orient et l’Occident (avec aussi quelques échappées vers la Russie ou l’Italie)  imprègne donc de bout en bout ce recueil. Ce n’est pas seulement, on l’a compris, une question de géographie. C’est avant tout une façon d’appréhender le réel, de saisir l’instant, de s’adonner à la contemplation. « Un  nuage noir, immense, sur la baie de Goulven, laisse passer des rayons de gloire », écrit Jean-Claude Caër. « Comme dans des tableaux religieux du XVIIe siècle, des rais de lumière descendent sur nous à travers le nuage sombre. Silhouettes de pèlerins, nos ombres s’allongent, image de nos vies ».

Où sont les oiseaux de mon enfance ?

Il y a aussi, à l’occasion de ce retour au pays, une forme de nostalgie qui s’exprime. « Où sont les oiseaux de mon enfance ? Les merles, les grives, les roitelets… ». Mais le poète se rassure car demeurent les oiseaux de mer : goélands, aigrettes, gravelots à collier interrompu… Demeurent  aussi les terres inondées, les mousses, les oyats, les sables blancs, les champs de choux-fleurs, les tracteurs qui ronronnent, le son des cloches à Plounévez-Lochrist un dimanche de Pâques. Mais le temps fait son oeuvre: la dune recule, elle est devenue « une falaise de sable blanc ».

Jean-Claude Caër peut donc écrire : « Sur la voie abrupte, le monde ne reviendra pas. Il s’éloigne. L’air se raréfie, et bientôt tu étouffes, tu cries ». Ce cri est aussi celui d’un homme qui a perdu sa mère (il en parle à plusieurs reprises dans son livre). « Ma mère me manque/Son enveloppe charnelle/Sous l’œil de ma mère le monde avait des couleurs plus vives ». Il se souvient de la vieille femme qu’elle fut : « Sa voix est cassée, éraillée/N’est pas la voix de ma mère jeune ». Son amour filial explose dans la chambre mortuaire. « Seulement mettre son front dans la paume de ma main ».

Même s’il y a les larmes et même trop plein de larmes (comme il le dit lui-même), Jean-Claude Caër persiste à emprunter, avec une forme de légèreté, sa propre « sente étroite du bout du monde »(Bashô). Le lisant, on pense aussi à ce haïku de Sôseki : « Sans savoir pourquoi/j’aime ce monde/où nous venons pour mourir ».

Par Pierre Tanguy