Des sources et des livres : Recension par Pierre Tanguy

14 juin 2024

La poésie ne se réduit pas à la production de livres mais elle doit aussi se traduire par une certaine «justesse» dans la vie elle-même. C’est la conviction exprimée dans ce livre par Wolfgang Matz en s’appuyant sur l’itinéraire de trois auteurs de la même génération, mais pourtant bien différents les uns des autres: André du Bouchet (1924-2001), Yves Bonnefoy (1923-2016) et Philippe Jaccottet (1925-2021).

Il les connaît tous les trois par cœur. L’auteur et traducteur allemand Wolfgang Matz a traduit une partie de leurs œuvres. Il peut nous faire vivre «de l’intérieur» le parcours de ces trois grands poètes français contemporains qui se connaissaient bien et s’estimaient. Une simple montagne, d’ailleurs, séparait André du Bouchet de Philippe Jaccottet. Le premier vivait à Truinas, le second à Grignan dans le même département de la Drôme.

À la mort de Du Bouchet, Jaccottet écrira un livre simplement intitulé Truinas, le 21 avril 2001 (La Dogana, 2004), « un livre sur la poésie et la réalité, une réalité qui inclut inévitablement la mort», note Wolfgang Matz. Et suite à sa propre rencontre avec Du Bouchet peu de temps avant sa mort, l’auteur peut écrire: «La poésie n’est pas un art coupé de la vie; la poésie est la condensation les plus poussée, la plus intense, de la vie même. Et c’est précisément ce que nous voyons quand nous pensons à André du Bouchet dans son jardin de cognassiers, pendant qu’il parle de ses poèmes, qu’il parle des mots, des arbres, de la montagne».

Pour Wolfgang Matz, l’idée de la mort hante aussi toute l’œuvre de Bonnefoy qui, lui aussi, vécut dans le sud de la France, à Valsaintes, entre le Mont Ventoux et le Lubéron. L’auteur évoque notamment les derniers livres de Bonnefoy, Ensemble encore et L’écharpe rougequi, note-t-il, font «de la conscience de sa mort prochaine l’objet de la poésie». Ce qui n’empêche pas que L’écharpe rouge soit «un récit saturé de réalité tiré de l’enfance et de la jeunesse» et que Ensemble encore puisse nous parler d’une poésie «conçue comme une conversation avec des poètes, des peintres, des photographes, des philosophes».

À propos de Philippe Jaccottet, Wolfgang Matz souligne que des trois poètes présentés dans son livre, il fut le seul à s’être totalement établi loin de Paris, à Grignan, avec cette «ouverture sur un réel vivable» qu’il a expérimentée sur place. Sa poésie s’en ressentira dans la mesure où elle «n’est pas un exercice mallarméen, mais se réclame de la vie d’un homme, de son labeur quotidien, des jours qui passent». Et il ajoute: «Peut-être toute sa poésie prend-elle sa source dans ce conflit, entre, d’un côté, le pathos mélancolique, quasi baroque de la fugacité des choses et, de l’autre, l’expérience irréfutable de la beauté et de la vérité dans la nature et l’art».

…/…

Comme pour Du Bouchet et Bonnefoy, Wolfgang Matz s’attache à noter que l’ombre de la mort hante aussi l’œuvre de Jaccottet. Avec une ouverture dans son dernier livre, La clarté Notre-Dame, sur une forme de sacré, mais «le sacré comme savoir, que ce monde matériel n’est pas tout, ne peut être tout». 

Voilà, en tout cas, rassemblée dans un petit livre, une somme de considérations fécondes sur la poésie et le poème de la vie. Autant d’encouragements à nous pencher, plus que jamais, sur les œuvres de ces trois immenses poètes.

Par Pierre Tanguy