Sous les traits de Jacques Callot
Paulette Choné imagine les mémoires du célèbre graveur lorrain. Une prouesse.
À la quarante-troisième année de son âge, alors que « la mort remue familièrement ses os dans mon lit », Jacques Callot se raconte. Le dessinateur et graveur lorrain, né en 1592, disparu en 1635, cauchemarde. La nuit, lui vient en songe l'un des animaux qu'il aimait croquer : le renard-pèlerin. C'est sous ce panache roux que Paulette Choné, qui a été la commissaire de la grande exposition Callot de 1992, publie les mémoires de l'artiste, célèbre pour ses eaux-fortes sur la Guerre de Trente Ans dont « L'Arbre aux pendus ». Un pari d'autant plus osé (et réussi) qu'elle éclaire le personnage d'une lumière joyeuse, contrairement à l'idée que l'on s'en fait à travers ses œuvres les plus connues. Universitaire, familière de l'époque, Paulette Choné reconstruit l'itinéraire du Nancéien de sa ville natale à Florence, Paris et retour, comme s'il s'agissait d'un feuilleton, en 87 épisodes brefs et très enlevés. Elle s'en explique.
– Comment vous êtes-vous glissée dans la peau de Jacques Callot ?
– J'ai commencé par écrire des textes assez courts sur quelques estampes et dessins sans avoir une idée très précise de ce que j'allais en faire. Des dialogues me sont venus, que j'ai gardés dans le livre et peu à peu la première personne s'est imposée. Mais il n'était pas question pour moi de faire un pastiche, je me suis tenue presque aux antipodes d'un Robert Merle qui me divertit beaucoup par ailleurs.
– Vous avez beaucoup travaillé la langue. Le résultat est particulièrement réjouissant. N'était-ce pas difficile ?
– Au contraire, ce fut un vrai plaisir. J'ai eu beaucoup de mal à quitter ce livre, une fois qu'il a été terminé. J'avais trouvé le ton, je m'y sentais bien.
– Avez-vous pu mieux comprendre Jacques Callot et ses ressorts créatifs ?
– Ce n'était pas mon objectif. Mon propos était plutôt d'accentuer encore le mystère… Cet homme, qui a eu une vie assez courte, a produit d'innombrables œuvres, certaines si géniales… C'était une gageure de l'enfermer dans un texte du XXIe siècle. J'en avais conscience. Ce qui m'a ravie, ce fut de mettre en évidence son côté joueur, son autodérision, ses rapports distanciés avec les puissants de son temps. Il avait un « bon naturel », il aimait la vie. Dans mon pense-bête, j'avais inscrit en tête de ne surtout pas céder aux clichés du reporter des misères de la guerre, du compagnon des gueux, à cette image noire trop répandue. C'était très stimulant : il fallait que j'invente autre chose, qui soit vraisemblable. J'en fais quelqu'un de presque libertin. Il n'est jamais irrévérencieux vis-à-vis de la religion mais il n'est pas le grand mystique qu'on a voulu faire croire.
– Vous êtes une fan !
– Je me souviens d'une réflexion de Daniel Boulanger, de l'Académie Goncourt, à qui je parlais de Jacques Callot. Il m'avait lancé : on dirait que c'est l'homme de votre vie. Sans doute.
Propos recueillis par Michel Vagner