C’est un grand bonheur de lire un livre qui prend son temps.
Rondes de nuit s’est écrit au cours des 10 dernières années, sans hâte et par lente maturation. Il se déroule comme un beau fleuve avec ses méandres, ses zones lumineuses, ombragées, parfois obscures, son rythme vif ou retenu, selon le moment et le lieu. Il part d’une expérience singulière, doucement en marge, ou décalé, une sorte de dépaysement sans tapage : la familiarité progressive et le goût pour la Suisse romande, ses paysages, ses grands figures littéraires des dernières décennies (Ramuz, Roud, Chessex, Jaccottet, etc.) et la curiosité d’en savoir plus sur ce dandy, homme d’affaires, éditeur d’exception et collectionneur, Henry-Louis Mermod, alias “pinsonnet” en langage Picasso…
À partir de cette expérience, l’auteur tisse sa toile : l’ouverture magistrale et émouvante autour du tableau de Rembrandt, qui donne son titre au livre, conduit á une enquête à la fois subjective et précise qui nous restitue un temps perdu et retrouvé, celui d’une Suisse littéraire où Mermod et sa villa au bord du Léman sont au centre, puis de fil en aiguille, de rencontre en rencontre, avec intelligence, humanité et un humour teinté de la mélancolie du temps qui passe c’est toute une galerie de portraits qui se déroule sous nos yeux. Le lecteur peut y déambuler á sa guise, avec la liberté poétique de bouleverser l’ordre des chapitres, s’il le souhaite, et l’assurance, á chaque fois ou presque, d’admirer la profondeur du coup d’œil, la justesse du trait, la subtilité des couleurs.
Au final, à partir d’un petit fragment de Suisse (dont on comprend bien en refermant le livre qu’il a désormais annexé sans bruit mais de main de maître, avec, soit dit en passant, l’aide félonne de la Belgique, une partie significative de la Drôme provençale...), Amaury N. réussit à restituer une expérience humaine qui parle à chacun d’entre nous et nous tend en un sens un miroir où notre vie se réfléchit. C’est aussi pour lui l’occasion, vers la fin du livre, d’ouvrir une ligne de fuite, où l’on aimerait bien le voir s’aventurer plus avant à l’avenir, car c’est aussi l’un des moments les plus forts de son livre : le portrait de son aïeul paysan et l’écart entre des temps et des univers sociaux et humains qu’il nous donne l’occasion de mesurer et d’éprouver concrètement.
par Hervé Ferrage