Fortitou's Blog - CLVIII - Renard-Pèlerin

 Fortitou's Blog - CLVIII - Renard-Pèlerin
23 octobre 2010

CLVIII – Renard-Pèlerin

L’exercice qui consiste à se mettre dans la peau d’un personnage célèbre est, pour le moins, périlleux. C’est à la fois un acte fort, qui frise l’usurpation d’identité, et un acte fin, qui doit laisser apparaître les lignes directrices d’une vie sans tomber dans l’explication, et révéler ses contextes successifs sans basculer dans le documentaire.

Quand Paulette Choné se glisse dans la peau de Jacques Callot, c’est réussi, et parfois éblouissant. Sous la forme de mémoires racontées à sa mie, commençant en 1596 – il n’a pas quatre ans – et finissant en 1634, l’année qui précède sa disparition. Elle a choisi de privilégier l’enfance, les épisodes italiens de Rome (1608-1611) et de Florence (1612-1620) et les premières années du retour à Nancy. Au début revivent le Nancy de la fin du seizième siècle et les marges de la cour ducale, des souvenirs imaginaires d’une grande beauté (une fièvre puérile, visions et douleurs un jour de mardi-gras), comme aussi ce qu’il retient d’une visite à l’Arsenal avec son père. Quand celui-ci ne parle que bronze, fonte, pouces et lignes, l’enfant est captivé par deux lions sur un écusson, souverains et tranquilles, appliqués en haut relief sur une couleuvrine. Le temps de quelques émois devant des dessins de Bellange, de quelques essais comme apprenti orfèvre, d’une fuite peut-être, et le voilà à Rome, rencontrant Philippe Thomassin, et initiant le double itinéraire qu’il suivra toute sa vie – le dessin et l’estampe – et essayant des techniques personnelles entre burin, vernis et eaux-fortes.

À Florence ensuite, l’effervescence artistique des années 1610 se saisit de lui, Les premières amours côtoient l’admiration des maîtres de rencontre, tels Tempesta ou Parigi. La lente évolution se fait qui va de l’anonymat de l’apprenti jusqu’au temps où l’on pourra inscrire Callot sc. au bas d’une planche sans déchoir à soi-même. L’oscillation entre le doute qui naît d’une critique entendue et la certitude d’aller de l’avant. C’est le temps de nouvelles œuvres et des premières commandes. Celui des Gobbi, des Caprices.

L’animation et la profusion des grandes fêtes florentines lui donnent la matière des premières estampes qui se lisent en plans multiples : le champ de la fête, ses défilés et ses attroupements, les spectateurs en grappes plus ou moins rapprochées, des personnages attentifs ou dissipés, épée à la ceinture, qui sont presque sortis de l’estampe. Déjà les premiers signes de la force de Callot : sa vision. Avant de dessiner ou de graver, Callot voit, et transmet sa vision à travers ses œuvres. La multiplicité des plans est une appréhension multiple de l’espace, le redoublement des figures des Caprices est une vision dupliquée du même sujet, les perspectives de ses plans de bataille ou de siège sont une vision du monde où la carte et la scène se disputent l’espace, profitant au mieux de la place disponible. Et c’est sans doute là que Paulette Choné réussit : elle voit à travers les yeux de Callot. Elle voit son œuvre comme elle dit ses espoirs ou ses ennuis.

La vue, dis-je, est un sens de nature où le désir n’entre point.
Ensuite, je me tus.

Les années nancéennes ne sont plus esquissées que par touches successives : retour dans sa famille, cartes de sièges, livres d’emblèmes, scènes diverses qui nous emmènent jusqu’à Paris chez Silvestre, ou à Anvers. De son mariage, contracté en 1623, on ne saura que peu de choses. De la suite de l’Enfant prodigue, on ne comprendra pas tout de suite qu’il ne s’agissait pas d’un souvenir de famille. Les calamités de la Guerre de Trente ans viennent assombrir les derniers paysages, où mendiants et gueux se font leur place.

Cette vision est servie par une langue d’une belle venue, épicée de termes à peine archaïques qui en enrichissent la matière dans la masse, pas en surface. Sans doute fallait-il avoir une connaissance profonde de cette époque et une connaissance intime de l’œuvre – ce dont personne ne doute quand on connaît les travaux de Paulette Choné – pour oser écrire ça, pour oser dire et voir comme un graveur du dix-septième siècle.

                                                 Fortitou