I Kathimerini (Grèce) - La Femme de Zante en français, deuxième tentative

 I Kathimerini (Grèce) - La Femme de Zante  en français, deuxième tentative
14 octobre 2009

La Femme de Zante  en français, deuxième tentative

Traduire en langue étrangère la prose poétique de Dionysios Solomos, La Femme de Zante, voilà une tâche particulièrement ardue, dont vient pourtant de s’acquitter Gilles Ortlieb, philhellène et traducteur.
L’élégante édition bilingue de l’un des textes les plus difficiles de la langue grecque est le fait des éditions Le Bruit du temps, nouvellement fondées et dirigées par Antoine Jaccottet, fils du grand poète et traducteur Philippe Jaccottet. Il s’agit là de la deuxième tentative de transposition en français du texte de Solomos, après celle de l’helléniste Octave Merlier, publiée tardivement par la Société d’édition des Belles Lettres en 1987.

La traduction de La Femme de Zante est une entreprise qui relève presque de l’impossible. Et ce n’est pas un hasard si, dans l’introduction à la version d’Octave Merlier, celui qui était alors le directeur de l’Institut de recherches néohelléniques, le professeur Paskalis Kitromilidis souligne que ce travail a représenté la plus importante contribution (sur un ensemble de quatre essais) de l’ex-directeur de l’Institut français aux études consacrées à Solomos ; ni si Merlier a lui-même baptisé sa tentative « essai d’anastylose » de l’œuvre du poète grec.

La difficulté ne réside pas seulement dans le fait qu’il s’agit d’un texte inachevé (quoique complet) que l’auteur projetait de travailler encore, et qui par conséquent abonde d’annotations en italien dans les marges du manuscrit. Elle ne tient pas non plus seulement au fait, comme le souligne Ortlieb dans sa préface, qu’il s’agit d’un texte crypté, allégorique, qui a suscité d’innombrables interprétations. Dans cette même introduction, Ortlieb indique qu’il s’est trouvé confronté à une « énigme insoluble » liée d’abord à la forme (s’agit-il d’un poème narratif, d’une satire, d’une nouvelle fantastique dans la lignées des romantiques allemands, ou bien d’un texte prophétique inspiré de l’Apocalypse de Jean ?), et ensuite à la place singulière – parce que sans équivalent – qu’elle occupe dans le corpus de l’œuvre de Solomos.

La difficulté principale, et véritablement insurmontable, de ce texte réside dans la langue. Malgré l’excellente traduction de Gilles Ortlieb, qui offre au lecteur français un texte d’une grande fluidité tout en demeurant absolument fidèle à l’original, la première impression qui s’impose au lecteur grec, lequel peut comparer les deux versions disposées en regard, est que le style de Solomos, autrement dit Solomos lui-même, pour reprendre la formule de Buffon, demeure intraduisible sur le fond. C’est un texte qui justifie pleinement la célèbre assertion du poète Robert Frost, pour qui la poésie était précisément ce qui se perd dans la traduction.

Il n’en reste pas moins que cette nouvelle traduction française, due à quelqu’un qui n’a pas ménagé sa peine en traduisant avec bonheur des poèmes de Cavafy, les Six nuits sur l’Acropole de Séféris ou Le Suicidé de Mitsakis, a le mérite, contrairement à l’édition académique de Merlier, de rendre le texte de Solomos accessible à un très vaste public.

Gilles Ortlieb offre, en l’occurrence, une très belle édition de poche avec une introduction, une traduction bilingue et une note biographique sur le poète, édition que chacun peut désormais se procurer dans toutes les librairies françaises de l’étranger.

Spyros Giannaras