Le blog de l'histoire - Les Souvenirs du Donetz de Jean Rounault

 Le blog de l'histoire - Les Souvenirs du Donetz de Jean Rounault
26 2009

Les Souvenirs du Donetz de Jean Rounault

Ce livre a été présenté à sa première parution aux éditions Sulliver en 1949 comme l’un des tout premiers témoignages sur les camps de travail en URSS. Rainer Biemel relate, à la manière d’un documentaire, comment, tour à tour mécano, lampiste, médecin, il parviendra à survivre dans les usines du Donetz.

C’est l’un des rares témoignages de ce type qui permet de découvrir le travail quotidien « libre » ou forcé à la périphérie du Goulag.

Il n’est pas facile de porter un nom allemand dans la Roumanie de cette fin de l’année 1944, fraîchement alliée à l’Union soviétique après l’avoir combattue aux côtés de l’Allemagne nazie.

Rainer Biemel faisait partie de cette minorité allemande de Transylvanie installée depuis des siècles et qui était devenue roumaine à la suite du traité de Trianon démembrant l’empire austro-hongrois des Habsbourg. Ayant fait une grande partie de ses études en France, il collabore à différentes revues antifascistes, fait des émissions radiophoniques et traduit Rilke et Thomas Mann. Recherché par les Allemands, il rentre en Roumanie en novembre 1941.

À partir du 13 janvier 1945, 60 000 membres de la minorité allemande de Roumanie sont arrêtés et déportés en Russie, et Rainer Biemel fait évidemment partie de ceux-ci. Il est transporté en train de marchandises, ignorant comme ses compagnons leur destination finale, craignant que ce soit la Sibérie.

Il n’ira pas aussi loin, il sera interné au camp 1022, à Makeevka, dans le Donbass, aux confins de l’Ukraine et de la Russie actuelle, région riche en mines de charbon. Ayant distribué quelques médicaments aux malades de son wagon, il est pris pour un médecin par les Russes qui l’emploient dans un premier temps dans l’infirmerie du camp.

Tombé malade et rétabli, il se fait passer pour un électro-mécanicien pour échapper à la dure condition de mineur, et ses camarades d’atelier le surnomment Rounault, en pensant aux automobiles Renault, nom dont il fera son nom de plume.

Les chapitres sont courts, racontent une anecdote, une péripétie ou dressent le portrait d’un personnage. Ce n’est pas le Goulag décrit par Soljenytsine ou Guinzbourg, bien que surveillés, certains prisonniers dont fait partie l’auteur sont relativement libres de leurs mouvements de par leurs fonctions et peuvent entrevoir ce qu’est la vie soviétique en cette fin de la guerre.

La connaissance de l’allemand, du roumain et du russe permet à l’auteur de cerner les personnalités des personnages à qui il a affaire, du prisonnier allemand qui croit toujours à la victoire du Reich, de l’ouvrier au nom plus que germanique, mais qui ne parle que le roumain, communiste convaincu et qui le reste malgré les avanies du camp, officiers et sous officiers russes qui paraissent un peu désabusés, mais croyant fermement au génie de Staline, et le petit peuple russe, employé aux mines, qui essaie de survivre en en faisant le moins possible.

Devenu lampiste, c’est-à-dire préposé à l’entretien des lampes des mineurs, il se lie d’amitié avec Vassia, Russe débrouillard et surtout très doué dans tout ce qui concerne le bricolage, qui aide l’intellectuel, dépourvu de toute connaissance dans le travail manuel, à atteindre la norme qui lui permet d’avoir une ration de nourriture considérée comme normale quoique insuffisante.

C’est ce personnage qui donne son nom au livre, que l’on croirait tiré de l’œuvre de Tolstoï, résigné à son sort, ne disant mot devant les puissants, mais parlant librement à ceux à qui il a accordé sa confiance, tournant à son avantage les règlements parfois absurdes qui régissent sa vie et son travail .

Rounault est chrétien, et le revendique haut et fort. De confession luthérienne, traditionnelle chez les Saxons de Roumanie, il se convertira au catholicisme après sa libération. Son livre est l’œuvre d’un chrétien, il analyse les rapports humains en tant que tel. Il constate que malgré les campagnes de déchristianisation féroces, les icônes sont toujours présentes chez les mineurs, mais cachées, et le jour de Pâques fêté secrètement.

Il juge aussi sévèrement le stalinisme, qualifié de « société militaire, soumise à une discipline de fer où une classe privilégiée exploite les ouvriers jusqu’à la mort, et où les serfs qui avaient été libérés, sont redevenus serfs sous le nom de kolkhoziens. ». Le gouffre qu’il décrit entre les cadres et la piétaille de base est incommensurable et les deux parties de la société vivent bien à l’écart et se méprisent cordialement.

Rounault parvient à obtenir l’autorisation d’un lieutenant du NKVD d’écrire à l’ambassade de France, malgré le fait qu’il ne soit pas Français (il ne sera naturalisé qu’en 1947), et est nommé médecin malgré son ignorance quasi-totale de la médecine. Il passera les derniers temps de sa captivité à essayer de soigner ses semblables sans trop faire d’erreurs de diagnostic. Il faut dire que la pauvreté des moyens mis à sa disposition l’en empêche et que la mort tellement présente suite aux privations et autres mauvais traitements couvre ses fautes éventuelles.

Il est libéré, sans savoir pourquoi en décembre 1945, et rapatrié dans des conditions difficiles à Bucarest. Il partira de Roumanie après le coup d’état communiste de la fin de 1947 pour revenir en France avec sa femme et sa fille. Ses camarades de captivité ne reverront leur pays natal qu’à partir de 1950, et 15 à 20% d’entre eux n’y reviendront pas.

Ce livre est paru à l’origine en 1949, et fut attaqué immédiatement par les communistes français contraignant Rounault à faire un procès pour injures et diffamation au journal les Lettres françaises, procès qu’il gagna, même si celui-ci n’eut pas le retentissement du procès Kravtchenko qui se déroula la même année.

Pourquoi rééditer ce livre soixante ans après sa première édition ? Parce que ce genre d’ouvrage ne peut se trouver que dans les vide-greniers ou chez des marchands de livres d’occasion et il est important que ce genre de témoignage de qualité écrit sur le vif subsiste à côté d’ouvrages plus généraux et plus abstraits. Une bonne compréhension de l’Histoire nécessite à mon sens les deux, le vécu et l’analyse.

                                                                                                              Jean-Marc Labat