Le Figaro, La Ballade des pèlerins : Compostelle par étapes, par Thierry Clermont

06 2020

Publié une première fois en 1993, et réédité aujourd’hui, le récit d’Édith de La Héronnière raconte son long pèlerinage effectué depuis Vézelay, au milieu des années 1970.

« Nous seront pèlerins. Per agrum : de ceux qui vont au-delà du champ. Nous couperons, franchirons, enjamberons. Notre trajet ira en diagonale à travers les prairies, à travers les moissons, vers le champ de l’Etoile, ce Campus Stellae des confins d’Espagne. » Ainsi Edith de La Héronnière présente-t-elle son chemin de Compostelle, publié une première fois en 1993, et que voici réédité, pour notre plus grand bonheur. Elle poursuit sa présentation : « L’au-delà prévaudra jusqu’au bout : dépasser le champ, dépasser la limite, dépasser les forces. La vieille devise des pèlerins, Ultreia – « Plus oultre » -, celle consistant à aller toujours au-delà, sera vérifiée. »

Ce long pèlerinage effectué depuis Vézelay, « village aux tentacules de pierre et de ciel » sous forme de quête spirituelle et poétique, elle l’a rêvé et accompli dans les règles de l’art au milieu des années 1970, alors qu’elle aborde la trentaine, avec trois amis, avant qu’il ne devienne en vogue. A ce titre, rappelons les ouvrages récents de Jean-Christophe Rufin, du Néerlandais Cees Nooteboom (le superbe Labyinthe du pèlerin), d’Alix de Saint-André (en avant, route !) ou encore de Jean-Claude Bourlès, qui tous se sont emparés de ce pèlerinage avec succès, après Edith Wharton dans les années 1920 ou encore l’Andalou Federico Garcia Lorca, il y a un siècle déjà.

Nous voilà donc en compagnie de ses acolytes et compagnons de route : Tancred « l’ardent », Roland (au « calme olympien »), Zabel, la jeune New-Yokaise délurée, et la narratrice « frondeuse bien française », sac sur le dos, bâton ferré à la main, à travers champs et vallons à l’ancienne, trouvant refuge pour la nuit dans des hôtels modestes, des hangars abandonnés, des cabanes, des clairières sous les pins.

Cap donc sur la Galicienne Santiago de Compostela. Défilent dans ce récit passionnant les paysages, les sensations, les réflexions jetées au hasard des chemins et des haltes, les déceptions aussi, car tout n’est pas rose pendant ces trois mois de marche, loin du confort moderne.

Rivières, torrents impétueux, bois enchevêtrés, prairies vallonnées, buissons de myrtilles, églises et chapelles, drailles de transhumance, chemins de halage, prés ombragés rythment cette salutaire Ballade des pèlerins. Le quatuor passe par le Morvan, l’Auvergne « déroutante », le Puy de Montoncel, Saint-Nectaire, La Chaise-Dieu, Le Puy, La Chaze-de-Peyre (« quintessence du village français », écrit-elle), le plateau de l’Aubrac, Conques, étape majeure de la via Podiensis, le causse de Gramat (dans le Quercy), Rocamadour, Figeac, le Gers et ses « labours de terre de Sienne brûlée ».

Puis, c’est le délicat passage des Pyrénées : Salvatierra, la Navarre, ce pays d’un « vert très doux aux nuances cendrées et bleutées », Sangüesa, où fut fondé le premier ermitage franciscain d’Espagne, la cité médiévale de Puente la Reina où se rencontrent les différents chemins menant à Santiago, la cathédrale de Burgos, dans l’est de la Castille, chantée jadis par le poète Antonio Machado (dans Campos de Castilla), pays « où il ne sera fait grâce ni des brûlures ni de la soif, ni même du désespoir en ce chemin de poussière blanche s’enfuyant vers un impossible nadir ». Puis, c’est le « vieux chemin », autrement dit le « camino galego », en passant par Piedrafita, Puertomarin, la colline de Montjoie et, enfin, la consécration, à Saint-Jacques, au terme d’une marche au long cours vécue comme « la métaphore de l’aventure de l’âme. »

Par Thierry Clermont