Le Magazine Littéraire - n°509 - Le poème à venir

 Le Magazine Littéraire - n°509 - Le poème à venir
01 juin 2011

Le poème à venir

Dix ans après sa mort, André du Bouchet (1924-2001) reste le poète le plus secret de sa génération. Sa poésie d'abord influencée par Ponge et Reverdy s'est engagée dans un travail de plus en plus austère sur la typographie, moins peut-être dans la continuité du Coup de démallarméen que par une fascination quasi mimétique pour les « brouillons de la folie » de Hölderlin. Reprises et ruptures sont la loi de son écriture qui fait l'épreuve de la perte, du vide, du manque (il ne fut pas pour rien un proche de Paul Celan), tout en cherchant passionnément la plénitude – celle-ci dût-elle être éprouvée entre les mots, dans le blanc de la page, plus qu'en eux.

On savait déjà que de nombreux « carnets » avaient été le laboratoire de cette œuvre : Michel Collot en a révélé l'existence en 1990, avec le consentement de l'auteur, qui eut le temps de publier avant sa mort plusieurs autres volumes tirés de ses carnets (où, du reste, il ne se priva pas de se réécrire). L'ouvrage publié aujourd'hui par Clément Layet propose la transcription d'un choix de carnets de jeunesse. Ils éclairent la poésie de du Bouchet (qu'il faudra relire à leur lumière) et montrent comment, chez lui, la réflexion critique sur la poésie et l'exercice quotidien de celle-ci furent intimement liés.

Le choix d'essais qui paraît en même temps nous restitue des pages majeures où le jeune poète, écrivant sur Hugo, Reverdy, Pasternak ou Baudelaire, en vint à cerner sa propre poétique (il envisageait alors un doctorat dirigé par Jean Wahl et Gaston Bachelard). Qu'on lise son « Baudelaire irrémédiable » : c'est un grand texte sur Baudelaire, mais aussi la meilleure introduction à sa propre œuvre.

Les Carnets révèlent un poète d'une fraîcheur et d'une sensualité que les grandes architectures poétiques de la maturité nous ont sans doute en partie masquées. André du Bouchet écrivait pour se rendre « digne du poème à venir » : c'est cette exigeante humilité qui fait toute sa valeur.

                                                                                                  Jean-Yves Masson

Extrait

La fin nous a laissés avec un immense monde blanc —
ou cette brûlure en nous qui est à la fois proche et lointaine
le point où ce qui est proche touche ce qui est lointain
avant que la pierre s'allume
la fatigue cuisante d'être aux prises avec cette façade nue —
nous passons dans l'intervalle du feu