Le mystérieux Jacques Callot
Quoi de plus difficile que de conjuguer l'histoire de l'art et la fiction ? En la matière, peu de romans, après Balzac et Zola, sont parvenus à ne pas tomber dans les pièges du genre. Les Portraits imaginaires de Walter Pater, La Semaine sainte de Louis Aragon et Les Leçons de ténèbres de Patrizia Runfola sont de ceux-là. On peut y ajouter le Renard-Pèlerin de Paulette Choné. Elle a eu l'ambition de faire une « biographie apocryphe ». On découvre le jeune Jacques Callot élève de Jacques Bellange, décorateur du duc de Lorraine, immense graveur et dessinateur d'une folle originalité. Il se rend ensuite à Rome en 1608 pour étudier auprès des Flamands exilés puis s'intalle à Florence où il découvre, émerveillé, l'œuvre de Pontormo. C'est là qu'il commence une série de dessins, Varie Figure Gobbi, et illustre La Guerre de beauté pour le mariage de la fille du duc d'Urbino. Il imagine ensuite les planches des Caprices. En 1621, il est de retour à Nancy et travaille alors pour le duc Henri, un mélancolique qui ne trouve de consolation que dans les livres. Il illustre des ouvrages et peint Le Siège de Breda en 1626, année où il va à Anvers. Quatre ans plus tard, il est à Paris et revient à Nancy où il va disparaître en 1635 – il a à peine plus de quarante ans. Il laisse derrière lui un album de gravures à l'eau-forte mémorable, Les Grandes Misères de la guerre, qui sera rendu célèbre par Abraham Bosse dix ans plus tard.
L'auteur s'est efforcé, dans une langue superbe, de pénétrer la pensée du grand créateur à l'âme tourmentée qui a désiré restituer le monde troublé et violent où il a vécu, avec ses conflits armés, ses chasses aux sorcières, ses cruautés sans nom et sa pauvreté : pour lui, dit l'écrivain, « le monde est à écrire ». Ce monde nous est parvenu dans toute son horreur et toute sa beauté grâce au magistral exercice d'écrire auquel s'est livré Paulette Choné. Son livre est surtout une méditation sur la démarche d'un artiste dont on sait si peu et qui a laissé de son passage sur cette terre un témoignage puissant. Elle a écrit des pages précieuses à l'écriture recherchée, mais épurée et subtile, capable de pénétrer cette « cosa mentale » qui est la grande affaire de l'art.
Georges Férou