Léon Chestov, l'inclassable
La question de la foi en courts chapitres
L'œuvre de Léon Chestov serait-elle encore plus rafraîchissante et libératrice aujourd'hui qu'elle ne le fut hier déjà ? Sans avoir pris une seule ride, elle continue, comme toute pensée prophétique, de poursuivre le questionnement de l'âme humaine jusqu'en ses derniers retranchements, avec une liberté et une lucidité que rien n'arrête.
Aux limites de la littérature, de la philosophie et de la mystique, refusant la terre ferme des évidences et des certitudes, Chestov est de ceux qui tiennent leur connaissance au-dessus du savoir et ne cherchent qu'à « apprendre à vivre dans l'inconnu ». Son objet ? « Suivre jusqu'au bout les destinées des individus, autrement dit, poser des questions qui excluent d'avance la possibilité de réponses raisonnables quelconques. »
Le sens de l'existence humaine
Sont alors convoqués dans un réquisitoire foudroyant et impartial sur le sens ultime de l'existence humaine et de son mystère impénétrable, tous les grands penseurs de l'Antiquité, du Moyen Âge et de la modernité, parmi lesquels Pascal, Luther, Kierkegaard, Nietzsche, Dostoïevski jouent un rôle de premier plan.
De l'Église ou des philosophes rationalistes, qui a donc le pouvoir des clés ? Dans un style brillant et clair, ce que Chestov dénonce inlassablement, c'est que la recherche de la vérité et du salut de l'homme puisse être ainsi remise non seulement entre les mains du pouvoir temporel de l'Église, mais encore entre celles des philosophes rationalistes selon lesquels la sagesse et la connaissance l'emportent toujours sur la joie, la douleur et les accidents de l'être individuel.
Comme le souligne Ramona Fotiade dans la postface, « s'il y a des contradictions dans la vie, la philosophie, pour Chestov, doit vivre de ces contradictions, elle ne peut donc plus être une contemplation impartiale des lois de la nature, des fins de l'histoire et de la destinée de l'homme, mais une lutte pour le réveil par lequel l'individu s'oppose à l'arrêt de mort que recèle la connaissance. La grâce et la foi sont donc synonymes d'une libre volonté illimitée que l'homme retrouve en s'élevant au-dessus de la raison pour remonter aux sources de la vie et reconquérir le paradis perdu ».
Jean Borel