L'Express - n°3216 - Panthéon polonais

 L'Express - n°3216 - Panthéon polonais
20 2013

Panthéon polonais 

La traduction des poèmes et essais de Zbigniew Herbert révèle un auteur de premier plan. Injustement méconnu.

Une voix d'une telle portée, un talent si immédiat et profond, voilà qui ne se rencontre pas tous les jours ! Et pourtant, le Polonais Zbigniew Herbert (1924-1998), célébré dans son pays (2008 y fut officiellement une Année Herbert), traduit en anglais avec un grand retentissement par le Prix Nobel Czeslaw Milosz, et qui a en outre longtemps vécu en exil à Paris, reste un quasi-inconnu dans nos contrées. En proposant l'intégralité de ses poèmes et de ses essais en français, les éditions Le Bruit du temps réparent cette injustice et révèlent un auteur majeur. Avec ses fables sans morale, ses travestissements des traditions bibliques et gréco-romaines, son ironie et la puissance de son imagination, Herbert a écrit de la poésie distanciée mais terriblement humaine, qui touche au cœur des sentiments et des choses. Parfois réaliste, s'attachant à un objet ou à une plante, son œuvre se démarque cependant de l'objectivité à la Francis Ponge. Cette poésie concrète rejette également tout penchant symboliste : son petit lyrisme du quotidien n'en a que plus de force. En fait, avec son apparente simplicité, rendue par la traduction lumineuse de Brigitte Gautier, la poésie de Herbert ne se rattache à aucun courant connu. Comme la plupart des auteurs « de l'Est » malmenés par le destin, Herbert n'est pas un esthète. Il s'accroche à la culture et à l'héritage du passé, seuls remparts face à la barbarie qui menace. Dans l'un de ses entretiens, il explique que sa poésie « porte sur la fidélité, sur la vertu de persistance, sur l'affirmation de l'être dans toute sa complexité ». Selon lui, l'art consiste à « construire des valeurs, pour lesquelles il vaut la peine de vivre », une leçon dont nous avons, plus que jamais, besoin.

                                                                                       Bertrand Dermoncourt