Livres Hebdo - n°793 - Le premier témoin

 Livres Hebdo - n°793 - Le premier témoin
16 octobre 2009

Le premier témoin

Dès 1949, Biemel-Rounault dénonçait le stalinisme et ses camps.

En 1949, paraissait aux édition Sulliver, à Paris, Mon ami Vassia, signé Jean Rounault. Préfacé par le philosophe catholique Gabriel Marcel, qui félicitait l'auteur pour sa « rigueur », et sa « contribution inappréciable » pour « percer à jour le mensonge et les camouflages » du stalinisme, ce livre était un document accablant sur le régime soviétique, qui montrait, de l'intérieur et sans pathos, le fonctionnement de la dictature du « Petit Père des peuples », et dénonçait, parmi l'un des tout premiers, les camps d'internement.

Rounault maîtrisait parfaitement son sujet : il venait de passer un an dans un camp à Makeevka, dans la région du Donbass (ou Donetz), en Ukraine ! Non pas un goulag, mais un camp de travail où les conditions de vie étaient si exécrables que peu de prisonniers survivaient. Rounault, lui, a eu la chance d'en sortir relativement vite, début 1946, grâce à l'intervention auprès des Russes des diplomates français en poste à Bucarest. Mais qui était donc ce personnage et qu'avait-il fait pour mériter pareil sort ?

Jean Rounault était en fait le pseudonyme (issu de la déformation de « Renault » par ses camarades de misère) de Rainer Biemel. Un intellectuel roumain né en 1910 à Kronstadt (aujourd'hui Brasov), dans la minorité allemande de Transylvanie. Installé en France dès 1926, militant antifasciste proche un temps du communisme mais dont il comprit vite l'imposture, révolté par les pactes germano-soviétiques, il avait fui la Gestapo en 1941 vers la Roumanie, mais fut arrêté en janvier 1945 par le NKVD (ancêtre du KGB) et déporté en tant que « collaborateur » des nazis. Libéré puis revenu en France où il fera toute sa vie (Biemel-Rounault, converti au catholicisme, longtemps directeur littéraire de Desclée de Brouwer, est mort en 1987), il s'était empressé d'écrire et de publier son témoignage. Lequel suscita des réactions aussi passionnées qu'antagonistes. Malraux consacre à Mon ami Vassia un article élogieux dans Carrefour, Gide (dont Biemel avait bien sûr lu et médité le Retour de l'URSS) exprime son admiration, Henri Troyat (d'origine russe), Arthur Koestler ou le général de Gaulle adressent à l'auteur des lettres enthousiastes. Mais les communistes, en pleine idolâtrie, font donner dans leur presse les grandes orgues de Staline. Rounault y est vilipendé, traité de renégat, traître et affabulateur. Ils feront preuve, quelques années plus tard, du même aveuglement complice lorsque seront révélées les horreurs du goulag.

Mon ami Vassia sommeillait depuis sa réédition chez Plon, en 1952. C'est une excellente initiative de le ressusciter aujourd'hui, dans une jeune maison d'édition créée sous l'égide d'Ossip Mandelstam. Le texte est suivi d'un dossier dû à l'historien Jean-Louis Panné, coauteur du Livre noir du communisme et éditeur de Jan Karski, ainsi que du témoignage d'Anne-Marie Biemel sur son père. Tous deux insistent sur son absence de manichéisme, son amour d'un peuple russe de nouveau victime de la pire des tyrannies. Et l'histoire, bien sûr, lui a rendu justice.

                                                                                                         Jean-Claude Perrier