Montagnes et rivages sont les bornes du voyage, bornes exaltantes, surtout si le voyage se fait à pied et à cheval. Comme celui d’un Japonais anonyme qui parcourut les sites du Tokaido dans les débuts du XIII siècle.Tous ses efforts et tous ses moments contemplatifs visent à dépasser la cinquantaine qui vient et accéder à l’« Éveil » bouddhique : « des sandales de paille pour tout véhicule, j’emprunte la voie de l’érémitisme ». Le récit, ponctué de descriptions évocatrices, comme ces « rochers qui semblent des tigres », de légendes étranges, d’anecdotes curieuses, est également enrichi de courts poèmes, ou waka, de trente et une syllabes, qui touchent à la perfection : « Je ne m’attache pas / à cette existence, mais / pour avoir vécu jusqu’à ce jour / j’ai contemplé le Mont-Blanc / du pays de Kai / une raison de vivre ! » Cependant, il n’est pas sans nostalgie à l’égard de sa mère âgée. La traduction, élégante, se lit comme un bel et vaste poème en prose, aux accents lyriques et discrètement pathétiques, également métaphysiques. Ainsi l’on partage les émotions mélancoliques et esthétiques de celui qui chemine, dort sous un pin, médite ses « divagations ».
Quel plaisir que de découvrir, soigneusement édité, avec notes et postface éclairantes, ce classique du genre kikô ou « notes de voyage », qui oppose la paix des paysages et le souvenir des guerres civiles qui ont amené au pouvoir le gouvernement militaire des shôgun. Se ressourcer, pratiquer une ascèse, affiner sa vision et son expression, tels sont les buts de celui dont nous aimerions connaître le nom. Qu’importe ; il a vécu et marché pour atteindre le sommet de son art.
Au XVIIIe siècle, un peintre, Hiroshige, fit lui aussi le voyage du Petit Tokaido (Hazan, 2010) au moyen de ses estampes colorées, entre pluies et grand soleil, le peintre et le poète se répondant.
Thierry Guinhut