Mediapart - Bondy, Beaux Jours

 Mediapart - Bondy, Beaux Jours
14 septembre 2012

Bondy, Beaux Jours 

Tout débute à la droite de la scène, dans la petite robe de maille vert pâle comme enfilée à même les aréoles et l'embonpoint par l'actrice Dörte Lyssewski pour Les Beaux Jours d'Aranjuez, texte de Peter Handke. Face à elle, Jens Harzer. Il est censé lui donner la réplique, mais c'est tout le talent d'Handke, et de Bondy, que de le faire de bout en bout divaguer.

Il « n'écoute » pas. Il a, par avance, sa version de l'histoire, histoire de son couple et histoire de sa femme qu'il assaille de questions, c'était comment la première fois, c'était comment la débauche, et untel, un bon coup ? – litanie somme toute ordinaire des confessions sur l'oreiller. Pourtant, jamais la femme ne répondra tout à fait. Elle va botter en touche, non pas esquiver les questions, mais peut-être bien parler d'autre chose que du sentiment de vengeance qu'aurait pu lui attirer quelques-unes de ses expériences. Sans complétement prêter gare aux digressions exotiques de son compagnon (de très sensuelles divagations horticoles, entre pommes et Noli Me Tangere – l'autre nom de la balsamine sauvage), elle va les saisir au vol, en garder l'amer écho des secrets de famille, et le refrain de quelques chansons, comme Piaf ou Brassens. Elle va poursuivre, sans jamais paraître soliloquer, la narration de sa dialectique du désir et de l'indifférence. Sa parole, comme son corps pas parfait ni dompté, vont rompre avec l'éternel féminin, rompre avec l'idéal amoureux, mais surtout rompre avec la typologie classique du discours de l'attente et de la revanche tel que souvent prêté aux femmes à titre faussement libérateur.

En cela, c'est dommage que Peter Handke ait refusé la première version proposée par Bondy, jouée à Vienne au printemps (le critique Patrick Sourd l'a relaté sur le site des Inrocks) : la femme y était dédoublée par une jeune fille poursuivant sans relâche des allers-retours sur une balancelle. Handke a exigé que ce troisième œil soit expurgé des reprises. Restent les mascarades du fiancé, un jour Indien un jour gringo, et les lointains échos de la littérature américaine, comme si c'était Yvonne, soudain, qui prenait la parole pour un procès impromptu du Consul.

Loin des débats du In avignonais sur l'abus des vidéos, pour sa première pièce en tant que directeur du théâtre, Luc Bondy a joué la sobriété : pas de décor ou presque sinon quelques chaises de jardin. Pas de truchements mobiles, sauf un rideau au fond de la scène, qui finira par dévoiler le ciel étoilé de la lente journée d'été. Pas même le moindre petit hit lancé à bloc pour rejoindre notre compilation hétérodoxe des meilleures reprises scénographiées de Bob Marley, quand bien même quelques notes de Redemption voleront sur le plateau. Tout en finesse, et malgré le relatif inconfort de sur-titres placés trop haut (vus du rang J), c'est le texte qui prendra la vedette. Et qu'importent les pudeurs de Peter Handke : sous la main de Luc Bondy, la règle des Trois unités deviendra nombre d'Or du Triangle amoureux. C'est tout simple et c'est comme ça : c'est magistral.

                                                                                           Emma Reel