Noto - n°2 - Nicolas de Staël ou la tentation du vide

 Noto - n°2 - Nicolas de Staël ou la tentation du vide
01 juillet 2015

Nicolas de Staël ou la tentation du vide

Nicolas de Staël n’a jamais rien écrit, sinon une correspondance foisonnante, qui nous est livrée dans cette admirable édition critique assurée par Germain Viatte. Celui-ci, non content de nous donner à lire au moins deux cents inédits, n’a pas oublié de fournir à son lecteur deux précieux index, auxquels on n’hésitera pas à avoir recours. Le peintre des Martigues et des Mouettes n’était pas dévoré par le démon de la théorie. Toute sa vie, il ne l’a passée qu’à peindre… Cette correspondance est l’occasion de toucher du doigt un peu des affres de la création — le risque en moins. Lettre après lettre, ce qu’on y lit, ce sont les tourments du génie. On découvre un homme torturé, émotif, angoissé, à fleur de peau. Ce peintre-là était un sensible. Lire une correspondance, c’est toujours de quelque manière entrer chez quelqu’un par effraction ; c’est comme lire une autobiographie, sans autorisation ni pacte autobiographique. Les débuts de Nicolas de Staël furent difficiles. Né dans la froidure de Saint-Pétersbourg, orphelin sans le sou, il vécut pour l’essentiel en bohème. On suit les pérégrinations de ce cosmopolite, un peu partout chez lui (cet œil savait voir), et un peu étranger (réfugié dans son solipsisme). Ses voyages le menèrent des Pays-Bas jusqu’à Paris, de l’Italie jusqu’au Maroc. On est ému de ses amours contrariées — Jeanne Polge, la désirable, on est emporté par ses amitiés, solides et fragiles à la fois, qui tiennent, qui tiennent et puis qui rompent, inévitablement, comme celle qui l’unit à René Char (on doit ces lettres à Marie-Claude Char, des éditions des Busclats).

De Staël écrit ses lettres comme il peint : avec vivacité et couleur. Car même si l’amour y occupe une place importante, la grande affaire de cette existence tourmentée, ce fut la peinture, de façon exclusive et inconditionnelle. L’air de rien, on mesure au passage ce qu’il doit à ses maîtres : Vélasquez, Delacroix, Ucello, Rembrandt, Vermeer bien sûr, et tant d’autres. Mais s’il peint, c’est pour mieux vivre, et échapper aux emportements de la passion. Pourquoi peindre, sinon pour« m’aider à vivre, me libérer de toutes les impressions, toutes les sensations, toutes les inquiétudes » ? Ce monde, qu’il exprime tel qu’il le voit, est un monde saturé de couleurs, de lumière, souvent de soleil ; un monde complet, qui, à grands coups d’aplats, vous prend par la gorge. Sous cette pureté toute classique affleure l’expression d’un être déchiré. Bêtement romantique. Bêtement ? Nicolas de Staël, à quarante et un ans, s’est suicidé en se jetant dans le vide. De cette tentation, où il a fini par s’abîmer tout à fait, reste un sens de la beauté — une célébration des espaces, des choses, de l’être — qui donne le vertige et donne envie de vivre. « Ne pensez pas que les êtres qui mordent la vie avec autant de feu dans le coeur s’en vont sans laisser d’empreinte. »

                                                                                               J. B.