Le Nouveau Magazine Littéraire - Recension par Alain Dreyfus

 Le Nouveau Magazine Littéraire - Recension par Alain Dreyfus
30 avril 2019

"Je viens d'un monde où quelque chose a dérapé. Où un tourant a été mal pris. Si je pouvais retourner en arrière, je ne saurais pas repérer le carrefour où les choses se sont engagées dans la mauvaise direction." Trop tard : on ne réécrit pas l'histoire. Ou plutôt si, a fortiori dans Destruction, le récit de Cécile Wajsbrot, puisqu'il s'agit d'une dystopie, de l'avènement imaginé d'un monde que personne n'a voulu et que chacun a accepté, reclus dans le confort de son indifférence. Quel est-il, ce monde nouveau ? Une société aux mains de gouvernants aux objectifs nébuleux, dont la confiance en l'avenir est telle que, du passé ils font table rase.

Tout regard en arrière est en voie d'extinction, mettant en pratique le vers de Baudelaire : "La forme d'une ville change plus ite, hélas ! que le coeur d'un mortel." Même les défunts sont priés de se faire oublier : "Pas de noms sur les tombes, plus de tombes, des cendres dispersées dans l'anonymat."

Dans la prose lancinante, hypnotique dont elle est coutumière (le Bruit du temps ressort un précédent roman en poche, Mémorial), Cécile Wajsbrot arpente un Paris en voie de disparition et un Berlin (où elle vit et travaille) après la bataille. Elle scande son récit de diaogues dont on ne sait s'ils relèvent d'une conversation ou de l'endophasie. Si cette emprise étatique se finit moins mal qu'on ne pouvait le supposer, on saurait tort de se réjouir trop vite : les résistants vainqueurs ne seraient-ils pas une nouvelle mutation d'un pouvoir caméléon ?

Alain Dreyfus