Henry-Louis Mermod, on l’appelait parfois le « Gaston Gallimard de Lausanne », à condition d’imaginer les eaux lumineuses du Léman à la place du boulevard Saint-Germain. À lire le merveilleux livre que lui consacre Amaury Nauroy, on se dit que la chose n’est pas si impossible qu’elle le paraît. La Suisse est un curieux royaume, aux principautés secrètes – on dit aussi des « cantons », aves leurs armoiries. Celui qui nous occupe ici, le canton de Vaud, recèle deux richesses complémentaires : le vin, la littérature. C’est là, au milieu de ce royaume de la douceur, que Amaury Nauroy a planté sa tente d’explorateur.
Le but ? Raconter qui était Henry-Louis Mermod, tout à la fois industriel et dandy, amateur de beauté avec l’entrain d’un rapace aussi bien que d’un aimable promeneur. Un goûteur, un jouisseur, un possessif et un généreux tout à la fois. La scène se passe essentiellement au tournant des années 1930, dans un climat de guerre pesant sur l’Europe. Les bords du Léman offrent aux écrivains réfugiés une sorte de paradis de fortune. Et puis on se souvient tout de même que Dada est né dans un cabaret zurichois, ville où Joyce est venu mourir, un 13 janvier 1941. La littérature et la Suisse, cela ne fait pas deux, mais un. La preuve par Mermod. « Je fais un livre parce que j’ai envie de l’avoir sur la table de chevet ! » disait-il. Les écrivains qui vinrent à lui et dont il s’entoura tout-à-fait à la manière « Gaston », passionnée et quasi enfantine, sont des raffinés et des sauvages en même temps : citons pêle-mêle Charles-Albert Cingria, Gustave Roud, Georges Borgeaud, entre autres. Mermod était un cosmopolite dans l’âme, ami de Larbaud et de toute la scène littéraire européenne, il ne manque personne à son menu de Grand Hôtel de la Littérature, dont leschambres donnent sur l’eau, le ciel, l’herbe, le raisin. C’est à la fois le charme de la province et celui des voyages incessants, overseas… Rien d’étriqué, mais calme et cela sent le foin.
Plaisir suprême, on est délicieusement bercé par la beauté de ces livres si bien imprimés. Les peintres sont là aussi, du moins connu Auberjonois à l’immense Giacometti. Les années passent, d’autres auteurs surgissent, dont l’étonnant Jacques Chessex, mort il n'y a pas si longtemps, le nez dans sa conférence, comme Molière, et bien sûr Philippe Jaccottet. Amusante scène que celle de la visite du timide Jaccottet au lion royal Thomas Mann, après la guerre. Amaury Nauroy mène son enquête avec un respect tout lémanique et une curiosité de petit écureuil fin lettré. Comme l’eût dit Mermod lui-même : « Pour ma table de chevet ! »
par Michel Crépu