Première - Die Schönen Tage von Aranjuez (Les Beaux Jours d'Aranjuez)

 Première - Die Schönen Tage von Aranjuez (Les Beaux Jours d'Aranjuez)
14 septembre 2012

Die Schönen Tage von Aranjuez (Les Beaux Jours d'Aranjuez)

Il était attendu au tournant Luc Bondy. Première mise en scène en tant que nouveau directeur de L’Odéon-Théâtre de l’Europe. Spectacle d’ouverture de saison. Autant dire que l’enjeu était grand et la charge symbolique pas des moindres. Succédant à Olivier Py suite à une passation houleuse et controversée qui avait fait couler beaucoup d’encre dans la presse et mobilisé nombre de gens de théâtre, Luc Bondy, s’il n’en est plus à faire ses preuves en tant que metteur en scène, pose là la première pierre de sa programmation 2012-2013. En choisissant une pièce de l’écrivain autrichien Peter Handke (déprogrammé de la Comédie-Française en 2007 suite à sa prise de position lors de l’enterrement de Milosevic), sa dernière en date, Luc Bondy s’expose à plusieurs niveaux : le risque de polémique que suscite l’auteur et la nouveauté de la pièce, fraîchement publiée. Et pourtant, Les Beaux Jours d’Aranjuez ne s’impose pas comme un coup d’éclat mais distille subtilement sa radicalité. Sur un plateau quasi nu, deux comédiens, un homme et une femme, dialoguent. L’essence même du théâtre. Son B-A BA. Pas de machinerie imposante, de décor tape-à-l’œil, de comédiens en nombre, bruyants et flamboyants, on est à mille lieues de l’univers d’Olivier Py. Pas d’action au sens où on l’entend. Seulement ces deux anonymes dont on ne sait qui ils sont, d’où ils viennent ni où ils vont, à la relation mystérieuse et ambigüe. N’étant soumis à aucune étiquette, ils acquièrent ainsi un statut d’universalité et on accède à leurs récits, leurs pensées, leurs états d’âme sans à priori. Ils sont sans contexte, évoluent dans une sorte de parenthèse spatiale et temporelle, à côté de leur vie, et l’espace scénographique (signé Amina Handke) le matérialise merveilleusement. Comme toujours chez Luc Bondy, on est frappé par son goût, son sens de la beauté (des couleurs, des matières et de la composition, du dessin des corps dans l’espace), son attention accordée à la plasticité de l’ensemble, son élégance jamais froide. Les Beaux Jours d’Aranjuez est un plaisir des yeux et des oreilles, un plaisir des sens. La pièce de Peter Handke d’abord, est remarquable, on voudrait en retenir chaque phrase, en goûter tous les recoins, en attraper toutes les subtilités, les hors champs. On avance dans le dialogue avec l’impression de plus en plus prégnante que tout peut s’y dire, le désir surtout, loin des stéréotypes du langage, des codes établis de la communication. La langue de Handke saisit avec un mélange de rudesse et de grâce les choses de la vie. Ses évidences et ses tabous. Tenue par deux comédiens magnifiques, elle s’incarne au plateau dans une justesse lumineuse sans jamais perdre l’infini champ de ses possibles sémantiques. On est happé par le présent enveloppant de la situation tout en étant sans arrêt propulsé en d’autres territoires. Des fenêtres imaginaires s’ouvrent vers d’autres contrées théâtrales (Schiller, Tchekhov, Tennessee Williams…), vers l’ailleurs du monde réel (la nature) et charnel (la découverte de la jouissance, les vas-et-viens du désir physique…). Vers notre condition d’être humain, humbles terriens pris dans une immensité qui nous dépasse. La contemplation du ciel étoilé de la fin n’achève rien, elle nous étreint dans une durée renouvelée. C’est sublime.

                                                                                              Marie Plantin