Presse édition - Questions à Antoine Jaccottet, dirigeant fondateur des éditions Le Bruit du temps

 Presse édition - Questions à Antoine Jaccottet, dirigeant fondateur des éditions Le Bruit du temps
01 mars 2009

Questions à Antoine Jaccottet, dirigeant fondateur des éditions Le Bruit du temps

Vous venez de créer votre propre maison d’édition Le Bruit du temps. Quel en est le concept fondateur ?

Antoine Jaccottet : Plutôt que « concept fondateur » je parlerais plus volontiers de ma démarche d’éditeur littéraire, et du sens que je donne à mon métier. Au commencement de tout, il y a d’abord pour moi la passion de la lecture, et du livre. Comme Mandelstam, comme Proust, nous croyons, au Bruit du temps, qu’il existe une « physiologie de la lecture » et qu’à l’heure où, pour notre plus grand bonheur, les bibliothèques électroniques permettront bientôt à chacun d’imprimer chez soi telle ou telle page de n’importe quel ouvrage classique, oublié ou non, il est essentiel que nos livres, par leur aspect matériel, par leur facture même, demeurent, sans être luxueux, des objets que l’on ait plaisir à voir et à tenir en main. D’où : une couverture confiée à un graphiste réputé ; des papiers doux au toucher ; une mise en page élégante, et lisible. Nous avons également la profonde conviction que les « vrais livres » sont pour tous les temps, et ne meurent pas. Dans mes choix d’éditeur, je suis très attentif aux œuvres pour lesquelles l’immense bibliothèque commune reste une source d’inspiration parfaitement vivante. Sans doute parce que je crois que le vrai renouvellement en littérature ne peut s’opérer que dans la conscience mûrie d’un héritage commun. Ainsi, nous publierons, – souvent agrémentés d’un discret mais nécessaire appareil critique, de nature disons « apéritif » –, des textes d’aujourd’hui tout autant que des « classiques oubliés », ou momentanément tombés dans l’oubli. Le premier d’entre eux L’Anneau et le Livre, à notre sens un véritable chef d’œuvre méconnu, que nous publions dans une édition bilingue et reliée, vaut à lui seul comme une déclaration d’intention. Enfin, nous avons la volonté d’éditer, si possible, des constellations de livres, plutôt que des livres isolés. Un peu comme dans la programmation d’une saison musicale : constituer des projets autour d’un auteur (Browning), d’un livre (La Tempête), voire d’un thème… Ou pour parler autrement, je vous dirais qu’il est capital pour nous que notre catalogue croisse à la façon d’un arbre. Vous voyez les racines (Browning, Mandelstam…) et puis l’arbre s’étend, quelques branches apparaissent, des feuilles, de nouveaux bourgeons… Les préfaciers, les traducteurs deviennent des auteurs, un livre en appelle un autre…

Quelles sont les difficultés que doivent affronter aujourd’hui les petits éditeurs indépendants ?

Antoine Jaccottet : La difficulté majeure, pour nous tous, c’est sans doute un peu moins l’argent que la diffusion et la distribution de nos livres, et surtout les moyens de les faire connaître. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes particulièrement heureux que Belles Lettres Diffusion Distribution nous aient tout de suite fait confiance. Précisément, pour écarter ce danger de publier de bons livres qui resteraient absents des étalages des libraires. Mais l’autre problème, peut-être, et contre lequel nous ne pouvons pas faire grand-chose, c’est l’évolution naturelle des mœurs où la littérature a perdu un peu, beaucoup (ceci étant tout de même assez difficilement mesurable) d’influence, de pouvoir culturel. Je ne dis pas qu’on lit moins aujourd’hui qu’hier ; mais les gens de pouvoir ou d’argent, et les médias dans leur ensemble, en particulier la télévision, accordent à la littérature une importance amoindrie, voire infime quand il s’agit d’une littérature exigeante… Mais bon. Par optimisme, je me dis parfois que cette crise pourrait être également une chance, à condition que nous tous, gros et petits éditeurs indépendants, choisissions de produire des livres « plus durables », en plus petit nombre… que nous nous concentrions sur la qualité.

Quel type de communication et de marketing allez vous mettre en place pour faire connaître vos auteurs et votre label ?

Antoine Jaccottet : Notre communication sera simple et moderne. Nous disposons d’abord d’un site internet (www.lebruitdutemps.fr) informatif, et complémentaire de nos livres, où les lecteurs pourront bientôt trouver quelques suppléments d’informations notables (ce qu’offre l’Internet et que n’offre pas le livre : des photographies, des entretiens vidéo, audio, de nos auteurs etc.) Nous attachons beaucoup d’importance à la visibilité de nos éditions sur le Web. Ensuite, de façon plus traditionnelle, mais tout aussi essentielle, nous préparerons quelques « événements ». Il y aura par exemple, le 31 mars prochain, une grande soirée de lancement de notre maison au Reid Hall, près de Montparnasse, où le comédien Jacques Bonnaffé lira quelques extraits de L’Anneau et le Livre. Il va de soi que pour défendre nos livres, il faudra dans les mois et les années qui viennent (car nous espérons nous inscrire dans la durée !) aider les libraires à les vendre. Pour ce, nous tâcherons d’entretenir avec eux, au moins avec certains, un contact privilégié. Je crois tout à fait essentiel d’établir un lien fort, le plus fécond possible, entre nos auteurs, la littérature, et la société secrète de nos lecteurs. Dans ce sens, surtout pour nous qui publions plusieurs « classiques », il faudra que nous concevions des ponts nouveaux avec l’Université, avec les bibliothèques aussi, car il deviendra nécessaire, un jour ou l’autre, de pérenniser notre travail. Comment rendre certains conservateurs, certains professeurs, sensibles à notre catalogue ? Nous sommes prêts à favoriser des conférences sur un de nos auteurs, autour d’un thème qui nous serait cher ? Ce sont là des idées, des pistes… Enfin, nous espérons, bien entendu, que la presse écrite et quelques radios culturelles nous encouragerons.

Vos projets en 2009 ?

Antoine Jaccottet : Nous avons programmé 13 livres (un beau chiffre !) pour notre première année, répartis au rythme de deux ou trois publications par mois ; nous ne ferons rien paraître pendant la période estivale. Une douzaine d’ouvrages par an, c’est un tempo que nous souhaitons maintenir dans l’avenir. Par ailleurs, notre première « cuvée » porte en elle, je crois, les espérances et les ambitions que nous nous sommes fixées. En mars, paraîtront Le Timbre égyptien (trad. G. Limbour) de Mandelstam et L’Anneau et le Livre (trad. G. Connes ; préface de Marc Porée) de Robert Browning. En avril : La Mer et le Miroir (commentaire de La Tempête de Shakespeare ; trad. P. Pachet et B. Bayen) de W. H. Auden, et Sur Robert Browning (La Vie privée, nouvelle, suivie de deux essais ; trad. J. Pavans) de Henry James. En mai : Chardin et Rembrandt (essai ; présentation d’A.M. Perdrillat) de Marcel Proust ; Renard-Pèlerin (Mémoires de Jacques Callot écrits par lui-même ; récit) de Paulette Chauné ; Sonnets portugais (poèmes ; trad. Claire Malroux) d’Elisabeth Browning. En septembre : La Femme de Zante de Dionysios Solomos (trad. du grec moderne et présenté par Gilles Ortlieb). En octobre : Novalis au vignoble (poèmes ; trad. par l’auteur) de Ralph Dutli et Mon ami Vassia, souvenirs du Donetz (préface de G. Marcel) de Jean Rounault. En novembre : Nouvelles complètes I(Love Among the Haystacks and Other Stories ; nouvelle traduction par Marc Amfreville) de D. H. Lawrence ; Robert Browning (essai ; trad. V. David-Marescot) de G. K. Chesterton.

Né en 1954, Antoine Jaccottet, après des études de lettres à Genève, Oxford et Paris, a exercé un temps le métier de traducteur de l’anglais (Thomas Hardy, Paula Fox, Felipe Alfau, Muriel Spark). Aux côtés de Paul de Roux, il a travaillé pendant quatre ans chez Robert Laffont/Bouquins, à la refonte et mise à jour du Dictionnaire des œuvres et des auteurs Laffont-Bompiani. De 1995 à 2008, il a œuvré chez Gallimard pour la collection « Quarto » (Nouvelles complètes d’Hemingway, Femmes amoureuses I et II de D. H. Lawrence ; Œuvres de Jean Tardieu ; Le Roman de Ferrare de Bassani ; Chaminadour de Marcel Jouhandeau…). Il a quitté les éditions Gallimard au printemps 2008 pour fonder sa propre maison d’édition.