Revue des Deux Mondes - Isaac Babel

 Revue des Deux Mondes - Isaac Babel
01 septembre 2011

Isaac Babel

Pour la première fois, le lecteur français va avoir entre les mains tous les textes d'Isaac Babel parus de son vivant et après sa mort (à l'exception de sa correspondance), rassemblés de façon à présenter l'homme et l'œuvre en un tout cohérent. Jusqu'ici, ses récits étaient éparpillés chez divers éditeurs, dans des traductions très différentes par leur esprit ; les scénarios et les pièces étaient épuisés et indisponibles depuis longtemps et certains textes, peu nombreux il est vrai, n'avaient jamais été publiés en français.

Il était donc difficile d'appréhender vraiment cette œuvre énigmatique. D'autant plus qu'elle nous est parvenue tronquée, puisque presque tout ce que Babel avait écrit durant la dernière décennie de sa vie a disparu dans les caves du NKVD après son arrestation.

« Un livre, a-t-il dit, c'est le monde vu à travers un être humain. » Sa vision du monde et des gens, son appréciation de ce qui se passait dans son pays, ce n'est pas par des déclarations que Babel les exprimait, mais par sa façon d'écrire. Que ce soit dans ses petits tableaux de Pétersbourg pendant la guerre civile, dans ses récits sur la campagne de Pologne, ou dans quelques scènes évoquant la collectivisation d'un village, Babel ne porte de jugement sur ce qu'il décrit que par le truchement subtil de son style et de sa langue.

Car pour lui, tout est dans le style et l'art de raconter, comme le rapporte dans ses souvenirs son ami Constantin Paoustovski : « Je prends un petit rien, dit Babel, une anecdote, une histoire qui traîne sur la place du marché, et j'en fais une chose à laquelle moi-même je n'arrive plus à m'arracher. Ça joue, c'est rond comme un galet. Ça tient par la cohésion de ses particules. Et la force de cette cohésion est telle que même la foudre ne saurait la briser. On le lira, ce récit, et on s'en souviendra. On rira en le lisant, pas du tout parce qu'il est drôle, mais parce qu'on a toujours envie de rire quand on se trouve devant une réussite humaine. »

Cette édition atteindra son but si les lecteurs sentent, à travers et malgré la traduction, à quel point Babel était un grand écrivain. Combien tout, chez lui, tient au regard très personnel, à la fois caressant et acéré, curieux et jubilatoire, qu'il pose sur le monde et les gens. Et à la langue tantôt sobre, tantôt rutilante, mais toujours rigoureuse et juste, par laquelle il exprime cette perception du monde.

                                                                                                    Sophie Benech

 

Né en 1894 à Odessa, ville cosmopolite habitée par une importante communauté juive, Isaac Babel fait des études supérieures à Kiev, puis passe plusieurs années à Petrograd, où il commence à publier dès 1916 des récits dans la revue de Gorki, qui décèle immédiatement son talent. En 1920, il participe comme correspondant à la campagne de l'armée Rouge en Pologne. Dans les années vingt, il publie les deux recueils qui le rendront célèbre tant dans son pays qu'à l'étranger : Cavalerie rouge et les Récits d'Odessa. Il connaît alors une gloire fulgurante et est immédiatement reconnu comme un des grands espoirs de la littérature russe. Il écrit également une pièce, des reportages, des miniatures, des nouvelles, et des scénarios pour le cinéma. Il fait trois longs séjours en France, dont il parle très bien la langue et où vit sa première femme, qui a émigré. En 1929-1930, il voyage en Ukraine et assiste à la collectivisation forcée des campagnes. Bien qu'il écrive toujours énormément, il s'inscrit difficilement dans la ligne idéologique et politique de l'époque et publie peu au cours des années trente (quelques récits, des scénarios, des reportages, une pièce), se réfugiant dans un silence que le régime ne cessera de lui reprocher. Il est arrêté en mai 1939, ses manuscrits sont confisqués, et il est fusillé après avoir avoué sous la torture des crimes imaginaires. Il ne sera réhabilité partiellement qu'à la fin des années cinquante. Une grande partie de ce qu'il a écrit dans les années trente, dont son livre sur la collectivisation, n'a jamais été retrouvée. Plusieurs récits, et surtout Cavalerie rouge, ont été traduits en français à la fin des années vingt, le reste de son œuvre principalement dans les années soixante et soixante-dix, puis dans les années quatre-vingt-dix.

Babel est considéré en Russie comme l'un des plus grands stylistes du XXe siècle.