Revue des Deux Mondes - « L’Âme bridée »

 Revue des Deux Mondes - « L’Âme bridée »
01 2014

« L’Âme bridée »

Fin juin 2011, Pierre Pachet se rend à Pékin pour un colloque universitaire. Le programme des rencontres l’attire peu mais le pays l’intrigue : la Chine compte parmi les espaces marqués par le communisme, un thème qui lui est cher. Après la Roumanie, l’Union soviétique et la Pologne, l’essayiste se penche sur le vaste territoire asiatique avec le même désir de comprendre comment des dictateurs s’arrogent le pouvoir et parviennent à assujettir les plus résistants. Une question, posée en filigranes, jalonne tout le texte : l’âme si malmenée des individus survit-elle sous le drapeau rouge ? Par « âme », l’auteur entend ce qui anime les œuvres, les pensées, les regards, les imaginations, les rêveries, les revirements et les retours sur soi. Sans être sinologue, Pierre Pachet vit la réalité de l’intérieur : en décryptant les états d’esprit, il perçoit la vérité derrière les masques. L’Âme bridée se veut à l’origine une approche de la Chine par la politique, c’est-à-dire par l’actualité et l’histoire. Seulement de quelle manière interroger ce qui a eu lieu lorsque les traces ont disparu ou ont été travesties ? Où chercher ce qui n’est ni localisable ni identifiable ? Si l’auteur collecte des renseignements au gré de ses recherches, il a l’heureuse initiative de noter ses propres réactions et de nous en faire part. Bien que ne parlant pas chinois, il rencontre des artistes et des intellectuels ; de leurs conversations muettes et néanmoins intenses découlent des ressentis propres à dire le réel. à l’écoute de poètes ou d’écrivains tels Liao Yiwu, Wei Jingsheng. Mo Yan ou Yan Lianke, Pierre Pachet évalue l’ampleur de l’interdit et mesure l’immense machine de destruction qui sévit insidieusement sur le peuple. Pour lutter, les dissidents utilisent une arme surprenante, le rire : « l’humour, ou une distance prise avec les souffrances ou les torts subis une fois l’épreuve passée. Une façon d’assumer simplement et fermement : « Non, ce que vous m’avez infligé et que je n’oublie pas ne sera pas la ligne directrice de ma vie, ne la fera pas dévier. » Les régimes autoritaires le savent : les murs tombent sous la force des convictions individuelles. à quand l’effritement du système chinois ?

                                                                                                Aurélie Julia