Revue Etudes : Recension, par Yves Leclair

 Revue Etudes : Recension, par Yves Leclair
23 mars 2022

Né à Smyrne en 1900 et mort à Athènes en 1971, Georges Séféris est l’un des plus grands poètes du XXsiècle (prix Nobel en 1963). À côté de son grand œuvre poétique aussi pérenne que tendu comme une corde, l’écrivain et haut fonctionnaire a rédigé à partir de 1925 un journal qui ne compte pas moins de neuf volumes. Gilles Ortlieb, poète lui-même, familier de la Grèce, pro- pose pour la première fois la traduction intégrale des quatre premiers tomes de 1925 à 1944. Cette bouteille à la mer est une goutte d’éternité pour l’âme du prochain. Ces pages absolument monumentales et hautement nourricières relatent, dans une langue aussi accessible qu’éclairante, avec une extrême probité, une lucidité prophétique et une rare hauteur de vue, l’odyssée d’un éternel exilé : de Smyrne vers Athènes, puis l’Albanie, la Crète, Le Caire, l’Afrique du Sud, Jérusalem, Londres jusqu’à l’Italie. Or, fait notable chez un diariste, ces lignes de crête ne sont pas écrites à l’encre des pieuvres ! L’écrivain intime et public, témoin et acteur, défenseur de la langue démotique, comme un buvard empathique, fait remon- ter des enfers de l’histoire euro- péenne tout un peuple « naufragé du destin ». Dans la traversée très meurtrie des épreuves quotidiennes (exil, guerre), son œil délivre une mine d’or du commun ; son regard singulier et pluriel parvient, en dépit de tout, à sauver la beauté unique dans un monde défiguré. À la haine, à l’injustice, à l’imbécillité, aux dictatures et à leurs monstrueux cyclopes, cet argonaute de l’humanisme oppose le cap d’un hellénisme où rayonne « l’amour de l’humain et de la justice », tel un phare sur notre mer d’horizons orpheline. 

Par Yves Leclair