Romanslus.canalblog.com, Recension par Palavazouileux

05 octobre 2019

Roman qui interroge. Avec une belle et significative pertinence. Roman qui bouscule, dès lors que celle et celui qui s’y confrontent paraissent englués dans d’inopportunes certitudes.

L’effondrement d’un état démocratique qui n’a ni géographie ni frontières. La transition vers l’autre chose, vers un nouvel état que l’on pressent totalitaire. La destruction progressive, organisée de ce qui donnait un peu de sens à feu l’état démocratique. La dispersion. La probable soumission. Sauf, et sans que cela soit une certitude, du côté de celles et ceux qui s’essaient à ne pas se résigner. La voix, celle de la Résistance, qui s’adresse à la Narratrice ? La voix de la Narratrice ? Les quelques autres voix de la dissidence. Le tout dans la confusion, le nouveau système s’évertuant tout autant à détruire qu’à éparpiller et isoler.

« Vous savez comme moi ce qui se passait dans les premiers temps. Les mesures se succédaient à un rythme effréné. Il faut faire vite, disaient-ils, nous sommes là pour changer radicalement les choses. Après les années de stagnation que vous avez vécues, où se succédèrent tous ceux qui ne voulaient que maintenir et durer, il est temps de réintroduire le mouvement, l’avancée. »

La fiction, comme un écho au temps présent, à ce qui s’organise, à ce qui se met en place, à ce qui vise à briser toutes les velléités de Résistance. Le Lecteur n’a pas seulement reçu le roman de Cécile Wajsbrot comme une tentative de décrire un devenir possible, mais aussi comme un texte inscrit dans les problématiques contemporaines. Les systèmes totalitaires n’émergent pas seulement sous la houlette de formations politiques qualifiées de populistes par l’ensemble des forces dites démocratiques, ces systèmes se camouflent dans les replis des systèmes dits démocratiques et s’évertuent, sous cet abri moralement recevable, à s’imposer à l’ensemble du corps social.

« Je viens d’un monde responsable de ce qu’il est devenu. Et avec ce récit, je contribue, peut-être, à prolonger la vacuité, l’absurdité des choses, l’inutilité d’une voix… »

Le Lecteur outrepasse-t-il la pensée de Cécile Wajsbrot telle qu’elle s’exprime dans ce roman ? C’est possible. Mais le dit Lecteur a tout de même l’outrecuidance de croire que sa pensée à lui s’apparente à celle de l’Ecrivaine, qu’il ne la trahit donc pas dans les quelques phrases qu’il greffe ici. L’avenir de la Destruction ne s’envisage pas dans des temps très lointains. Elle est déjà à l’œuvre. Et pour qu’elle atteigne à ses objectifs, l’urgence n’est-elle pas d’effacer les mémoires ?

« Le déroulement du temps est simple, disaient-ils dans l’un de leurs premiers discours, c’est une droite orientée vers le futur avec, pour point de départ, le présent. Bientôt ils modifieront la grammaire afin de supprimer le passé, qu’il soit simple, composé, antérieur, imparfait ou plus-que-parfait. Nous avions tant de nuances à notre disposition pour signifier une antériorité plus ou moins grande, la répétition, l’unité, l’achèvement ou la durée. Ces distinctions sont désormais périmées, tout se rejoint dans une vaste zone blanche, noire, incolore, indistincte – tout concourt au néant. Et bientôt nous ne pourrons même plus comprendre les livres du passé. Est-ce cela qu’ils recherchent ? »

Par Palavazouilleux