« Sur Anna Akhmatova »
L'amitié de deux écrivaines qui ont traversé la terreur stalinienne.
Elle était tout ensemble une grande dame et une enfant frivole, « une colombe et une prédatrice, l'amie la plus jalouse et la plus partiale de toutes celles que j'ai connues », note Nadejda Mandelstam, au cœur de ce tendre et vivant récit-portrait, qu'elle écrivit au lendemain de la mort d'Anna Akhmatova, en 1966. L'admirable poétesse et le couple Mandelstam ont traversé ensemble ce que Chalamov, dans une lettre à la même Nadejda, qualifiait de « haute épreuve morale » : la terreur stalinienne, la relégation intérieure, la mise au ban. Une ère dont le souvenir le plus intense, le plus prégnant demeuré en mémoire de Nadejda Mandelstam fut, note-t-elle au seuil de ces pages, la peur – un sentiment « plus fort que l'amour et la jalousie, plus fort que tous les sentiments qu'il nous a été donné d'éprouver ».
Les deux femmes avaient fait connaissance en 1924, et leur amitié, sorte de prolongement naturel à celle qui liait Anna Akhmatova et Ossip Mandelstam, allait durer plus de quatre décennies. Jalonnées par des deuils – parmi lesquels celui de Mandelstam, mort au seuil du goulag en 1938, « point culminant de l'horreur et de la démence » –, et par d'autres inimaginables épreuves. Imprégnées à chaque instant de cette « peur animale », cet « abject sentiment de honte et de totale impuissance » auquel les deux femmes ont tenu tête. Chacune puisant en elle-même, en l'autre, en la figure du poète martyrisé, en leur foi partagée en la poésie, la « force de la résistance spirituelle aux principes du mal » (Varlam Chalamov).
Nathalie Crom