La Liberté - Le retour aux « Ambassadeurs »

 La Liberté - Le retour aux « Ambassadeurs »
30 octobre 2010

Le retour aux « Ambassadeurs »

Le grand romancier né à New York dans une famille aisée considérait son roman Les Ambassadeurs, paru en 1903, comme son chef-d'œuvre. Dans l'ensemble, selon ses termes, le plus accompli d'une production qui pourtant ne manque pas de textes intenses, tels Portrait de femme, Les Ailes de la colombe ou La Source sacrée. En dépit de sa notoriété, Henry James (1843-1916) peinait à obtenir l'adhésion du grand public, quelque peu rebuté par le côté cérébral et analytique de ses œuvres. En témoignent l'échec de ses tentatives de percer au théâtre et le fiasco de la publication de ses œuvres complètes en vingt-quatre volumes à New York entre 1907 et 1909. Les Ambassadeurs nous reviennent aujourd'hui dans une édition à la fois élégante et exhaustive, comprenant les notes préparatoires du livre, la préface de l'auteur à l'édition new-yorkaise de 1909, ainsi qu'une nouvelle traduction de Jean Pavans, le meilleur interprète français actuel de l'univers jamesien.

L'occasion est donc unique de découvrir ou de relire ce grand livre, si caractéristique de l'approche des passions, toujours si minutieusement décortiquées par le maître. En résumé, le personnage principal est un Américain, Lambert Strether, envoyé tel un « ambassadeur » à Paris pour convaincre Chad, le fils d'une riche amie, de rentrer au pays. Car sa mère craint que le cher petit ne perde son âme dans le tourbillon des plaisirs et des vices de la Ville Lumière. L'appât pour Strether n'est pas mince, car s'il réussit, sa récompense sera de pouvoir épouser ladite amie qui déjà sponsorise la revue littéraire qui est sa raison d'être. Mais rien ne se passe comme prévu et « l'ambassadeur » cédera à sa manière aux charmes et aux séductions du grand Paris.

Une fois de plus Henry James excelle dans la peinture des tropismes intérieurs où tout est compliqué, jusqu'aux gouffres d'inhibition qui paralysent le protagoniste. Strether en effet décline lui-même la perspective d'une liaison, comme le dit Jean Pavans, « sous le prétexte sans doute fallacieux du too late, trop tard ». On y retrouve la transposition des hésitations mêmes de l'auteur face au maelström des passions. Et ce plaisir plus violent que prenait James à observer et analyser les tempêtes amoureuses qu'à les vivre lui-même.

                                                                                                           Alain Favarger